Les enfants passés au tamis
Extrait 2/2
J’ai vécu parmi les enfants de la rue
qui inhalent de la colle, livides
comme quelques grosses pierres bercées
par les filets de l’éther,
que le tamis fait tourner dans le concasseur,
dans les égouts.
C’est pour toi que j’ai hurlé à la croisée des chemins, hissée
‒ sur quelque raclage hissée ‒
dans les fourches des barbeaux.
Je me suis laissé voler par les casseurs, par les magouilleurs,
dans le vacarme des cuillères grandes comme des pelles,
qui tintaient dans les gamelles.
J’ai erré à travers les troquets
qui sentaient le gaz, le chipset brûlé, le réseau,
je me suis frottée aux pyramides de vodka
et aux mains de tes grands hommes
‒ comme un chat qui se frotte au manuel d’électricité ‒,
ils ont aussi empourpré mon autre joue,
sans cesse leurs doigts ont heurté ma côte
et ils ont coupé mon cœur en quatre,
en riant, « parce que les auras des saintes sont ainsi »,
et ils m’ont passée au tamis
en même temps que tes autres enfants,
ils m’ont mis le bâillon d’autres paroles.
En ton nom, j’ai caché, comme une ordure,
dans mes poches, parmi les hardes,
les rats vigoureux de la trahison.
J’ai nourri, c’est avec ma chair
que j’ai nourri le pitbull du cachot.
J’ai pleuré, quand tu grattais la terre avec les ongles,
tout comme les chevaux aux yeux arrachés.
Oui, c’est pour toi que je suis entrée en force dans ce monde
comme une vague de sang
qui ne retrouve plus son chemin vers le cœur.