Ta monture est boiteuse, ô vieux conducteur d'hommes !
Toi, qui sonnes la vie à ses grelots fêlés,
Arrête : ou laisse-moi te quitter ! Nous nous sommes
Connus assez longtemps, assez longtemps mêlés
Ensemble, au tourbillon de cette foule avide ;
Et, sans pitié pour moi, pour tout ce qui m'est cher,
Tu m'as assez longtemps ballotté dans le vide,
Abreuvé de mon sang, et nourri de la chair
De mon propre cœur ! Va, je te dis : bon voyage !
Les larmes des enfants sont comme ces fleurs blanches
Sans parfums, que la brise enlève au bout des branches ;
Qui voltigent dans l'air, en légers tourbillons,
Et tombent, feuille à feuille, à travers les sillons.
Celles des vrais amants ont les saveurs secrètes,
La pénétrante odeur des pâles violettes ;
Je ne sais quoi de doux et d'amer à la fois
Comme le vent qui chante et pleure au fond des bois.
Qui de vous, au retour même d'un court voyage
Ne songe à ceux qu'il aime en touchant au rivage,
Et, l'esprit inquiet ne s'arrête un instant
Si, dans l'ombre du soir et la brume, il entend
Au loin tinter le glas funèbre, qu'accompagne
Le hurlement des chiens errants dans la campagne ?
Qui de vous, à sa voix, n'a frissonné d'effroi ?-
La goutte de rosée au bord des cils tremblante.
Oui, mais aussi parfois toute une mer brûlante
De désir et d'angoisse un abîme profond,
Avec l'espoir qui tombe et va se perdre au fond.