Lucette Lagnado

Si l'on devrait faire une liste des personnages les plus révoltants des nazis, je placerai le dr. Josef Mengele sûrement dans le Top Trois. Sur les 2 autres noms, j'hésite encore, mais lui, avec ses soi-disant expériences médicales scientifiques et atroces ne me laisse aucun doute.

Et à propos de liste, tout récemment, Pecosa de Babelio, a introduit une liste de 14 ouvrages consacrés à cet horrible toubib et certains de ses éminents collègues ! J'en avais déjà lu plusieurs , mais celui de Lucette Matalon Lagnado et Sheila Cohn Dekel sur les jumelles et jumeaux, qui sont passés entre ses mains à Auschwitz, se trouve exactement depuis le 13 mai 2009 dans ma bibliothèque avant que j'ai eu finalement le courage de le terminer. Avant, les critiques de cinéma avaient coutume de prévenir le public pour certaines réalisations avec la mise en garde : "pas destiné aux coeurs faibles". Je voudrais faire pareil pour ce bouquin, qui est une véritable descente en enfer !

Comme cet ouvrage de 1991 n'a pas été traduit en français et ne le sera probablement jamais, je me permets d'être un peu plus circonstancié que d'habitude.



D'abord un mot sur les auteurs, ne fut-ce que pour indiquer qu'elles ont fait du travail solide. Lucette Matalon Lagnado est journaliste du très sérieux Wall street journal. Elle est née dans une famille juive du Caire et lauréate de plusieurs prix littéraires aux États-Unis et Israël pour, entre autres, le récit du destin de sa mère "The Man in the White Sharkskin Suit" (L'homme en combinaison blanche de requin). Sheila Cohn est une éducatrice et a collaboré avec son mari, Alex Dekel, sur ses notes relatives à son traitement par Mengele et dont l'histoire est relatée dans cet opus.



"L'Ange de la mort" (le "Malach Hamavet" de la Bible) surnom donné à Mengele, est né en 1911 dans une famille aisée de Guntzbourg, le long du Danube en Bavière. Il passa sa jeunesse sans encombres, et comme il était beau garçon et sympathique, jouissait d'une certaine popularité. C'est en tant qu'étudiant à Munich, en 1931, que sa vie a pris une vilaine tournure : il devint membre des Casques d'acier (Stahlhelm) et, sous l'influence de l'idéologie hitlérienne, opta pour une spécialisation en anthropologie et génétique. Obnubilé par la création d'une race supérieure, il en fit une longue thèse et gradua, en 1935, comme docteur en médecine. Son premier job fut celui d'assistant du théoricien principal de la doctrine raciale nazie, le baron Otmar von Verschuer (1896-1969), directeur de l'institut d'hygiène raciale de l'université de Francfort. 4 ans après, il maria Irene Schoenbein, était envoyé au Tyrol comme soldat mais à un poste administratif et affecté, en 1941, comme toubib à la Division SS Viking en Ukraine. Blessé, un an après, il fut renvoyé en Allemagne, où il rejoignit Verschuer, qui l'aida à son poste fatal de médecin à Auschwitz.



Lorsque Mengele arriva, en avril 1943, à Auschwitz-Birkenau, des expériences médicales douteuses y avaient déjà cours, entre autres en matière de radiation avec effet mortel le plus souvent. Mais L'Ange réorganisa ce "service" de fond en comble et à grande échelle. Comme c'était lui, en impeccable uniforme d'officier SS, qui indiqua de sa main gantée en sifflotant parfois le Beau Danube bleu de Strauss, où les nouveaux arrivants, débarquant des trains en provenance de partout d'Europe sous la botte nazie, devaient aller, soit au travail d'esclave, soit directement aux chambres à gaz, il pouvait s'accaparer de tous ceux qui offraient une particularité physique à ses yeux intéressante, tels les nains, les géants, les bossus et surtout les jumeaux et triplets.



Convaincu que des tests sur les jumeaux offraient le plus de chances d'une amélioration raciale, il avait élaboré tout un programme, avec à la base des prises de sang fréquentes, pour les tous petits dans la nuque. Dans son phantasme de créer des surhommes (Übermenschen) aux cheveux blonds et yeux bleus, un majeur champ de recherche concernait les yeux ! Des substances chimiques étaient introduites dans les yeux, qui rendaient les gosses aveugles pendant un bout de temps. Il y eut également des opérations d'estomac, des reins, de la colonne vertébrale, du coeur, sans anesthésie etc. Tout était noté scrupuleusement et envoyé à Verschuer et à l'approche des Russes du camp, les archives furent détruites, aussi bien à Birkenau que Francfort, de façon à ce que personne ne sache l'ampleur véritable des expériences, d'autant plus que beaucoup de cobayes avaient succombé. Des 3.000 jumelles/jumeaux seulement 160 survécurent !



Absolument persuadé que ses expériences servaient un but scientifique supérieur, Mengele dépassait les normes de cruauté nazie, sans pour autant faire progresser la médecine d'un pouce. Essayer d'imaginer qu'elle a du être la vie de ses jeunes victimes est quasi impossible : appel à 6h30 dehors dans le froid, suivi de prises de sang et de tests médicaux et l'estomac pratiquement toujours vide. Entretemps, le "magicien" était devenu père d'un garçon Rolf, né en mars 1944.



Juste avant l'arrivée de l'armée soviétique, Mengele réussit à fuir et travailla 4 ans clandestinement dans une ferme en Allemagne, avant de se rendre, avec l'aide de sa famille mais sans Irene et Rolf, en Amérique latine : dans l'Argentine de Juan Perón et le Paraguay de Stroessner. Il y écrivit une autobiographie fictive et hautement fantaisiste. Poursuivi par Simon Wiesenthal, Hermann Langbein et le Mossad israélien, il voyage entre ces pays, l'Uruguay et le Brésil, se remaria avec sa belle-soeur Martha, occupa différents jobs, administra des avortements illégaux et mourut d'un arrêt de coeur en nageant à Bertoga au Brésil, en février 1979, sans jamais être puni pour ses nombreux crimes.



La valeur de cet ouvrage réside dans les témoignages que Lucette Matalon Lagnado et Sheila Cohn Dekel ont recueillis pendant des années auprès des jumelles et jumeaux survivants. Parallèlement à la carrière du thanatologue maudit, leurs vies sont décrites avant, pendant et après Auschwitz. Des vies faites de souffrances et cauchemars !



Personnellement, je crois qu'il s'agit du meilleur ouvrage consacré à ce médecin diabolique. Pourtant, comme c'est également le livre le plus dur qu'il m'est arrivé de lire, je n'irai, bien sûr, pas à le recommander sans plus !