_ Dans le jardin _
J'aurais pu devenir un marchand, et compter, et dire : "demain je serai plus riche, et l'an prochain plus riche encore."
J'aurais pu être un marchand très habile et concevoir des traffics inattendus, confier à la mer une fortune qu'elle m'eût rendue plus belle.
Mais j'aimais la musique.
Je disais : "les marchands sont des pauvres gens qui vivent dans des boutiques noires et s'hébètent à dire : dix, cent, mille..."
La chanson de l'or est fine et jolie, c'est de la musique.
Ah oui, n'est-ce pas, il y a des jours où l'on n'est pas gai !
Vous... vous sentez cela aussi, monsieur ?
C'est extraordinaire. Du moins, non... c'est très simple.
Oui, la tristesse nous prend tout à coup, comme une douleur dans un membre, ou plutôt, comme le sommeil. Je dis cela pour vous, parce que je ne suis pas triste. Je suis plutôt vide. Oui ; connaissez-vous aussi cela, monsieur, être vide de tout ? Ne plus désirer remuer, ni penser, ni vivre !
Mais au fait, non, à votre âge, vous ne pouvez pas le comprendre.
_Mais si, monsieur, dis-je, et moi-même...
Oui ! C'est extraordinaire.
On croit toujours être seul de son espèce, et si l'on connaissait un peu les autres, on serait bien étonné de voir comme on se ressemble !