Marc Petitjean

p. 74 Balthus nous avait fait la démonstration des principes très sûrs de la beauté : une sensation produite par une beauté simple, efficace, subtile et discrète.

Alors qu'ils sont accroupis devant le tableau “Le Coeur”, il lui demande pourquoi elle a représenté un coeur qui saigne dans une couleur verte. Elle répond : « Mais il est pas vert, il est rouge mon coeur. Plus rouge, tu es mort ! » Il la regarde avec un petit sourire interrogateur, essayant de discerner si elle se moque de lui. « Tu ne distingues pas bien les couleurs ? Tu ne serais pas daltonien ? », lui lance-t-elle.
Éméchée - il y a toujours des bouteilles de whiskey dans la galerie -, elle entreprend de regarder le fond de son oeil pour y détecter la cause de son daltonisme avec la flamme d'une allumette qu'elle approche dangereusement et elle colle son visage au sien, pour l'observer attentivement. L'allumette s'est consumée et lui brûle le bout des doigts. Elle s'écrie : « C'est fantastique, je vois un paysage … et je me vois là aussi, à l’intérieur, dans ton oeil ! »
Si lui ne perçoit pas bien les couleurs, elle avoue qu'en ce qui la concerne elle n'a pas d'odorat, elle ne sent rien, ni l'odeur de la merde, ni celle de la rose. Ils en rient d'un même élan car ils savent que ce qui les unit en cet instant c'est la sensation d'une corporalité, d'une sensualité globale et qui pourrait se résumer ainsi : Tu es mes yeux, je suis ton nez, on est un tout.

Oscar, un écrivain mexicain dont je n’avais jamais entendu parler, m’a contacté via Internet pour une rencontre. Il a juste précisé que cela concernait mon père. J’étais intrigué car celui-ci est mort depuis plus de vingt ans. [...] "Voilà, me dit-il, j’ai découvert que votre père a eu une relation amoureuse avec Frida Khalo quand elle est venue à Paris en 1939".

L'apparition éclair de Frida a laissé chacun sans souffle, comme un groupe de vers à soie qui regarderait une locomotive passant à pleine vitesse … Tout le monde est d'accord pour reconnaître que ses peintures sont les meilleures créées par une femme jusqu'à ce jour.

La peinture de Frida m'avait ouvert la voie : j'avais, si je le décidais, la liberté d'exprimer avec des formes, des couleurs, des métaphores, ce que je ne pouvais formuler avec des mots.

Je filmais tout : le coulissement d'une porte laissant apparaître l'un ou l'autre, la pluie glissant sur les feuilles des plantes, le battement des stores en bambou contre la fenêtre, Keiko préparant à manger, le disciple broyant les matières pour fabriquer des couleurs. [...] L'atelier, le yuzen, c'était tout ça. Une culture qui touchait tous les aspects de la vie, une certaine façon d'être japonais.

Comme dans ses toiles, Frida éprouve une nécessite vitale d'identifier, de nommer sans pudeur les étapes de son chemin de croix.

Avec Frida, au fond ce n'était pas très important de se comprendre sans s'embrouiller avec des mots. J'ai eu beaucoup d'intimité avec elle et jamais on n'a été limités par des problèmes de langage. C'était quelqu'un qui, avant même que je dise quelque chose, avait saisi ce que je voulais dire.