Marie-Gabrielle Maistre

"Ici commence le court bonheur de ma vie" écrit Jean-Jacques Rousseau, philosophe reconnu habitant à Paris, loin de sa Genève natale, et, surtout, loin de la Savoie qui a une place importante dans son coeur et dans son esprit. En effet, après avoir quitté Genève où il aurait pu avoir un statut de petit artisan, aspirant à davantage, il arrive en Savoie. Il va s'y former intellectuellement, prenant goût pour la musique, pour l'étude, pour l'écriture. Il va y découvrir les plaisirs de la nature, le goût de la marche, de la botanique. Et, ce qui est important dans sa vie d'homme, il y découvre l'amour physique et sentimental.

L'ouvrage retrace donc ses liens avec la Savoie à partir de ses écrits, notamment les Confessions, les Rêveries du promeneur solitaire, mais aussi la Nouvelle Héloïse ou le Vicaire Savoyard. Rousseau apprécie la Savoie et ses paysages en tant que pré-romantique, dans des passages de prose poétique où ses sentiments sont en harmonie avec les paysages : s'il ne décrit pas précisément Thônes, c'est un des lieux où il fut heureux, car il y fut apprécié - c'est la fameuse scène des cerises cueillies et jetées dans le sein d'une belle jeune fille.

Cependant, c'est la Savoie des villes, Annecy et Chambéry, des vallées, du lac Léman, que Rousseau décrit. Il passe la Maurienne, il se rend à Turin par les cols, mais il ne décrit pas la haute-montagne - dommage, c'est la Savoie que j'aime, moi, personnellement. De même, il ne dit rien des conditions de vie des plus humbles, des montagnards. Il ne peut pas nous servir de source historique. De source géographique non plus, puisque le paysage est décrit à chaque fois de façon assez générale - le soleil, les fleurs, des impressions, mais pas de toponymes précis ou de description détaillée des montagnes.

L'ouvrage tend aussi à montrer la récupération patrimoniale et politique de Rousseau par les Savoyards. Rousseau devient un élément de marketing touristique, il faut mettre en valeur les lieux qu'il a fréquentés, comme les Charmettes, la résidence de Mme de Warens à Chambéry. Mais toute récupération ne peut être neutre avec un tel personnage, et il fait l'objet de débats politiques violents au XIX ème siècle - la situation semble plus apaisée aujourd'hui : faut-il lui consacrer une statue ? dans ce cas, où ? Peut-on faire un musée des Charmettes, lieu qui consacre une relation adultère avec une femme bien plus âgée, qui donne lieu à un ménage à trois ? ... Les arguments philosophiques se mêlent aux arguments moraux et politiques. J'ai particulièrement apprécié le passage sur la statue de Rousseau à Chambéry, placée délibérément en hauteur pour dominer celle de Joseph de Maistre qui incarne la contre-révolution...

J'aurais néanmoins apprécié une carte dans l'ouvrage pour suivre les itinéraires de Rousseau, ainsi que quelques illustrations.