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Citation de Cielvariable


C'est au cours d'une soirée de poésie sulfureuse où j'avais fait sensation en lisant mon "Ode au Torchon" que je rencontrai enfin Serena qui avoua avoir lu tous mes poèmes et pleuré. Ah, lecteur! Pourquoi Dieu ne me tua-t-Il pas immédiatement? À force de chercher la pureté, je l'avais découverte et Serena était une sainte. Mais cette confession, la ferai-je? Elle n'était pas sexy. Et pendant que nos conversations à propos du monde s'éternisaient toujours jusqu'aux petites heures et que je m'attelais à me croire amoureux, le moment venu de nous mettre au lit me paraissait toujours trop tôt. Allais-je comprendre et m'esquiver élégamment après quelques essais infructueux, comme un gentleman? Non pas: je décidai de m'acharner et de vivre avec elle! Pendant les premiers mois, je tentai de travailler la relation. Ensuite, voyant que rien n'évoluait, je décidai de m'ouvrir franchement de mes fantasmes et de ses difficultés à les satisfaire avec force détails, qui la laissèrent clouée au lit de douleur. Pourquoi Dieu ne me raya-t-Il pas de la surface de la Terre à ce moment-là? Mais non, je restai en vie et pendant qu'elle pleurait, je me plaignais des affres que ma noble franchise me faisait subir. Ah! Éducation ridicule et politiquement correcte de mon pays d'origine, que fis-tu de moi? Convaincu que la discussion règle tout, je me déversais en de grandes analyses après chaque tentative de rapprochement. Rien ne changea, bien sûr, et ce qui devait arriver arriva, après maintes tortures inutiles, je me mis à baiser des cocottes en cachette et tandis que coupable, pas fier, je me traînais chaque fois que je le pouvais dans les bars high-tech, cachant ma honte dans une attitude désinvolte et des belles fringues à la mode payées à même la caisse commune de nos salaires de misère, à la maison j'en appelais à la liberté et à l'élévation: "C'est le quotidien qui tue tout. Il nous faut nous donner de l'air pour nous retrouver, nous revoir neufs!" Ou encore: "C'est la vie de couple qui m'empêche d'écrire mon roman : il n'y a plus d'inattendu. Il faut que je vive des choses." Ah, lecteur! qu'on me trucide! Trop généreuse pour voir ma mauvaise foi et ma lâcheté, Serena se mit soudain à essayer d'être plus sexy et à investir dans ma carrière, ruinant sa famille et ses amis pour publier mes manuscrits. Raconterai-je l'épisode de l'horrible mini-jupe, et celui des talons hauts où elle chancelait, voulant me faire plaisir, tandis qu'elle me traînait dans des cercles littéraires en faisant ma promotion? Raconterai-je comment elle se niait pour ne pas me perdre, son abnégation horrible de fille en proie à son premier amour, et moi qui laissais faire? Allais-je me ressaisir à temps? Non: je suis une pestilence, je restai lâche jusqu'au bout, et un matin où je rentrai fourbu après une nuit fabuleuse à l'extérieur, je la retrouvai pendue au lustre de l'entrée. Avait-elle trouvé par là le moyen de ne pas me détester? Noir destin que le mien: allais-je me mettre enfin à réfléchir? Non! Je décidai de ne pas culpabiliser et me lançai dans des sorties forcenées. Déclarant que la danse et le rythme étaient le secret de l'équilibre, tous les soirs j'essayais une nouvelle discothèque. Je devins excellent, les gens m'applaudissaient, on m'invitait à rejoindre des troupes contemporaines et je refusais invariablement. Était-ce pour me racheter à mes yeux que je me voulais intègre et vrai? Ah! tristesse, honte, orgueil! Mais Dieu fut bon, encore une fois, et me sauva en me faisant rencontrer Ibrahim et ses pétrodollars. Ah, Ibrahim, quel fêtard impénitent! Et comme il assumait sa superficialité avec panache! Quand je lui contai mes aventures un soir de confidences, il décida de m'apprendre à vivre. "Tu as tué ta copine à force de lâcheté. Tu es une raie sale! Un crapaud infect!" me criait-il, tendre et caressant malgré tout. "Si je n'étais pas passé par là, je te haïrais, mais là je puis te par donner, t'aider... Car j'ai été comme toi, moi, presque pire. Rien de tel que ceux qui ont vécu une expérience commune à la nôtre et s'en sont sortis pour nous comprendre. Tu es pire que moi, et pourtant, combien de démons se sont évanouis à mon contact pestilentiel!"
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