AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Matthias Schindler (1)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées
Nicaragua (1979-2019)

Pas d’émancipation possible sans égalité, droits humains et démocratie radicale



« Avec ce livre, je voudrais continuer à prouver, à partir de l’exemple du Nicaragua, que les crises sociales ne peuvent jamais être résolues par des méthodes répressives. Je suis profondément convaincu que l’émancipation sociale n’est possible que si les droits humains et les libertés démocratiques sont aussi garantis et significativement étendus ». Dans son avant-propos à l’édition française, Matthias Schindler aborde la fin de la dictature de Somoza, le soulèvement populaire et le Front sandiniste de libération national (FSLN) et la nouvelle dictature du gouvernement d’Ortega « basée sur la répression ouverte du peuple du Nicaragua ». Il explique ses choix de présentation, ses axes de développement, « Ce livre porte essentiellement sur l’analyse des structures politiques du Nicaragua et enquête sur l’évolution du pays confronté aux succès et aux erreurs des rapports démocratiques dans la société », son utilité pour des lecteurs et lectrices francophones, et importance de débats « sur le rapport étroit et complexe entre l’émancipation sociale et la démocratie »…



Dans la préface à l’édition espagnole, Onofre Guevara López discute du travail de documentation « sur notre processus révolutionnaire, l’origine de sa décadence et, plus que tout, sur l’actuelle crise politique et sociale de notre pays », des voyages au Nicaragua, d’enquête et de solidarité, « Mais de toute façon, je ne peux cesser de dire qu’il s’agit d’un récit des causes historiques de notre souveraineté bafouée, subissant en même temps, à cause de l’influence et des interventions militaires, les différentes modalités du « monroisme » de la politique extérieure des États-Unis, appliquée de 1823 à nos jours : au Nicaragua, ceux qui prétendent ignorer ces faits font semblant ». Le préfacier indique aussi : « Matthias ne laisse mentir ni les uns ni n’excuse les autres qui feignent l’impartialité pour rester solidaires de la dictature ou paraître indifférents au sort du peuple nicaraguayen, en alléguant une distance qui n’existe pas en ces temps de technologie cybernétique » et souligne la franche solidarité avec les populations contre la dictature des Ortega-Murillo, « Bien au fait de notre réalité, Matthias ne pouvait laisser impunis les arguments mensongers des dictateurs, diffusés dernièrement grâce à des vidéos astucieusement élaborées, prétendant renverser les rôles joués par les deux forces en présence : d’un côté, victimiser les criminels et les répresseurs de la dictature, comme la police ortéguiste et ses matraqueurs parapoliciers ; et d’autre part, criminaliser les morts victimes de la répression contre tout le mouvement populaire civique et désarmé »…



Dans un premier chapitre, « Les rêves du 19 juillet se sont noyés un 18 avril », Matthias Schindler dresse un tableau général de l’ensemble de la période, la fin de la dictature de Somoza, l’insurrection populaire, le mouvement de solidarité internationale, la défaite électorale, les racines et les évolutions des « aspects sociaux et structurels », les manifestations les plus massives de l’histoire du Nicaragua, la dictature de Daniel Ortegua…



« Exposer, reconnaître, caractériser et critiquer ces racines dans leurs contextes historiques et sociaux respectifs, c’est une condition indispensable pour pouvoir – au moins dans le futur – empêcher que ne se répètent des évolutions aussi désastreuses au Nicaragua et dans le monde. »



L’auteur insiste sur des falsifications, des réductions de la situation à la seule intervention étrangère (qu’il ne sous-estime en aucun cas), les politiques menées et celles qui auraient été possibles et pose un ensemble de questions : « quel est le rapport entre les événements de 2018 et la révolution sandiniste de 1979 ? Existe-t-il un lien ? Si tel est le cas, lequel ? Y aurait-il eu des alternatives ? Si oui, lesquelles ? La situation actuelle est-elle une conséquence logique de l’histoire de la révolution ? Ou y-t-il eu une rupture dans le développement politique ? Si oui, quand s’est-elle produite ? Quels furent les points de rupture entre la révolution sandiniste d’alors (avec un appui international) et la dictature ortéguiste aujourd’hui, largement critiquée et isolée »



Sans questionnement, il n’est pas possible de penser. Sans prendre en compte l’ensemble des contradictions, les analyses ne peuvent être que partielles et partiales. « Le propos central de ce travail est d’identifier quelques-unes des causes internes responsables de la défaite électorale du gouvernement sandiniste en 1990 et des aberrations du FSLN, d’abord dans l’opposition et ensuite au pouvoir ».



L’auteur propose des pistes de réflexions sur les dynamiques de violences, sur le rôle de la démocratie « durant la lutte de libération et ensuite y compris durant la période de gouvernement du FSLN », les formes de démocratie représentatives et participatives, les faiblesses sérieuses de leurs formes pratiques, les graves manquements au modèle de démocratie développé par le FSLN…



Il m’a semblé utile de m’attarder sur le début du livre, les interrogations, la volonté de rechercher les causes de la situation actuelle, les discontinuités, la dénonciation de la dictature actuelle (loin du campisme de certain·es)…



Dans les chapitres suivants, Matthias Schindler analyse, entre autres, les fondements et les développements du sandinisme, le processus de fondation du FSLN, les interventions étrangères, le « Statut des droits et garanties des Nicaraguayens » (Il pointe, entre autres, le silence sur la structure étatique pour la nouvelle société), le pluralisme politique, les conditions de la révolution, le rôle de la hiérarchie de l’Eglise catholique, la place de la Cour suprême de justice, les changements sociaux et économiques, les processus électoraux, le développement et les limites des organisations de masse et leurs liens avec le FSLN, le positionnement contre le droit à l’avortement et une conception traditionnelle de la famille, l’histoire de Daniel Ortega, le succès des campagnes d’alphabétisation, la composante chrétienne au sein du FSLN, les actions des forces militaires et violentes des contre-révolutionnaires, les débats autour du service militaire obligatoire, la restriction du respect des droits humains, les réalités contradictoires de la démocratie participative, la confusion entre le parti et l’Etat, le népostisme et la corruption, les systèmes juridiques parallèles, le fonctionnement du FSLN et l’absence d’élections démocratiques internes, la piñata sandiniste…



Ces analyses soulignent, me semble-t-il, bien des aspects contradictoires de cette expérience politique, des avancées sociales dont l’alphabétisation de la majorité de la population, des impasses contribuant à créer les conditions d’une détérioration du rapport de force, le poids d’une conception qui ne faisait pas de l’auto-organisation et de la démocratie les piliers des changements possibles…



Les éclairages fournis par l’auteur permettent de mieux comprendre les évolutions futures, le poids de certaines décisions et pratiques (dont la piñata), les conditions de répression massive sous le régime de Violeta Barrios de Chamorro (la revanche des dominants), le nouvel FSLN bien différent du premier, la place de l’« idéologie extrême réactionnaire par rapport aux femmes et à la famille » développé par Daniel Ortéga, le pacte entre celui-ci et Aleman du PCL, les changements constitutionnels et l’effondrement de l’« Etat de droit »… Pour l’auteur, « Ces processus profondément illégitimes et antidémocratiques ont leurs racines dans les faiblesses idéologiques et dans le système politique même de la révolution sandiniste ».



Matthias Schindler fournit des données concrètes sur la répression, les souffrances provoquées par les opérations policières et para-étatiques, l’état d’exception de fait et les nombreux interdits, les arrières plans de l’explosion du mécontentement populaire, le rôle des Etats-Unis, les débats au sein de la « gauche ».



Je souligne le paragraphe « Des arguments ineptes », les critiques – réduites à un soutien au néolibéralisme et à l’impérialisme étasunien – auxquelles l’auteur répond justement : « la gauche internationale ne pourrait rendre meilleur service aux réactionnaires du monde entier qu’en sous-estimant ou même en passant outre la politique inhumaine d’Ortega » ou « Une politique de gauche ou même d’orientation socialiste a le devoir de prendre une position claire contre ceux qui veulent des interventions et des guerres impérialistes et de critiquer en même temps la violation des droits humains par des gouvernements se réclamant d’une orientation anti-impérialiste ». Matthias Schindler rappelle combien le faux anti-impérialisme ou le campisme ont causé des dégâts historique à gauche…



L’auteur termine sur ce beau rêve devenu cauchemar réel, la nécessité de combiner justice et démocratie, liberté et démocratie… sans oublier le soutien nécessaire aux mouvements démocratiques au Nicaragua…



Je termine par deux questions qui me semblent négligées. La première concerne la possibilité même de développer des alternatives émancipatrices dans un périmètre limité, de mettre de coté l’espace de l’Amérique centrale et caribéen (au moins), de ne pas remettre en cause les frontières issues de la colonisation. Penser dans les limites des Etats réellement existants implique de limiter les possibles aux découpages historiques créés par d’autres.



Et cette question en rejoint une autre. Comment « confiner » les classes dominantes nationales et internationales (ex des contras et de leur financement par les USA), les empêcher d’intervenir militairement contre les processus populaires et leurs choix démocratiques ? Si l’auteur décrit bien les mécanismes d’intervention et insiste sur les impératifs démocratiques à tous les niveaux de décision et d’organisation, les dimensions internationalistes me semblent singulièrement insuffisantes. Or c’est bien du coté des mobilisations d’autres populations, des pays limitrophes vers un destin commun (ce qui ne signifie pas uniforme) et de la population étasunienne pour empêcher l’intervention de l’Etat et de bandes de mercenaires que peuvent être construites des barrières aux interventions ou à leurs développements. Pour le dire autrement, non seulement les formes d’émancipation – hier nommées socialisme – ne peuvent se développer au sein d’un seul pays, mais cette « nationalisation » est un frein à l’émancipation elle-même et à la solidarité. Bien entendu cela ne dit rien des formes concrètes possibles, ni des rythmes et de leurs décalages probables entre les lieux, ni des mesures de sauvegardes nécessaires et immédiates à prendre, ni de leurs périmètres d’application. Encore faut-il que cela soit clairement énoncé à toutes celles et tous ceux qui peuvent contribuer, par leurs mobilisations, à modifier les rapports de force…
Lien : https://entreleslignesentrel..
Commenter  J’apprécie          30


Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Matthias Schindler (2)Voir plus

Quiz Voir plus

La peau de Chagrin

Comment se nomme le personnage principal?

Valentin de Raphaël
Benjamin De Villecourt
Raphaël de Valentin
Emile

20 questions
1612 lecteurs ont répondu
Thème : La Peau de chagrin de Honoré de BalzacCréer un quiz sur cet auteur

{* *}