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Citation de Charybde2


J’ai composé un numéro bizarre avec une suite de chiffres trop longue pour pouvoir la mémoriser. La tonalité a émis le signal des appels à l’international. J’appelais en Afghanistan.
« Duncan ? Salut. C’est Michael Hastings du magazine Rolling Stone. »
Je fumais une cigarette derrière une moustiquaire sous la véranda d’une maison au bord du lac Champlain, avec vue sur les Adirondacks. J’ai éteint ma cigarette dans le photophore vide d’une bougie à la citronnelle, suis rentré et ai attrapé un carnet de notes sur le comptoir de la cuisine.
Duncan Boothby était un civil, le conseiller en communication du général Stanley McChrystal, le général en chef qui commandait les forces armées des États-Unis et celles de l’OTAN en Afghanistan. J’échangeais des e-mails avec Duncan depuis plus d’un mois pour avoir l’autorisation de rédiger un portrait fouillé du général. J’avais raté son appel la veille et il avait laissé un message. C’était donc la première fois que je lui parlais.
Duncan avait un accent anglais à peine perceptible, comme édulcoré. Il m’a dit qu’il fallait que je me rende à Paris, en France.
« Nous allons discrètement rappeler aux Européens que le jour où ils ont eu chaud au cul, on leur a sauvé la peau. Il est temps qu’ils se bougent. »
Duncan m’a expliqué le projet.
Le décor : la Normandie. Le jour J. La victoire des forces alliées. Des corps échoués sur la plage, des rangées de croix blanches.
La scène : McChrystal sur une plage au bord de la Manche. Il pense aux soldats morts au combat, un vent printanier froid souffle sur Omaha Beach. « C’est un fana de la guerre, un war geek », a dit Duncan. Il passe ses vacances sur les champs de bataille. Quelques mois plus tôt, sur le chemin du retour à DC, il avait passé sa journée de repos à Gettysburg.
L’histoire : ce voyage participe des efforts de McChrystal pour visiter, depuis un an, chacun des quarante-quatre pays alliés dans la guerre en Afghanistan. Cette fois, c’est Paris, Berlin, Varsovie et Prague. Il s’agit de s’assurer le soutien de nos amis de l’OTAN – afin de dissiper ce que Duncan appelait « cette drôle d’impression qu’ont les Européens d’une américanisation de la guerre ». « D’après moi, m’a-t-il dit, il y a quelque chose de nouveau à écrire sur ce sujet. » Personne n’avait jamais rédigé un portrait de McChrystal en Europe.
Duncan était un moulin à paroles. Il me laissait entendre qu’il savait de quoi il parlait. Qu’il était dans le coup. Il était des leurs.
« Qu’est-ce que vous dites de l’éclat de Karzai, l’autre jour ? » ai-je demandé. Hamid Karzai, allié des Américains et président de l’Afghanistan, avait menacé de se rapprocher des Talibans, les ennemis des Américains. Il avait fait cette déclaration quelques jours seulement après sa rencontre avec le président Barack Obama. « Ça vous complique la vie, non ? »
Duncan accusait la Maison-Blanche.
« La Maison-Blanche est sur le mode offensif, m’a-t-il dit. Le président Obama a mis du temps avant de se rendre à Kaboul. Ils ont organisé ensemble ce voyage à la toute dernière minute. On a eu six heures pour se préparer. À la suite de quoi ils sont sortis de leur entretien avec Karzai en se vantant de l’avoir mouché. Karzai s’est senti offensé. »
J’ai pris des notes. C’était de la bonne came.
Duncan a fait mousser McChrystal – le général avait consacré des mois à développer des relations amicales avec le président afghan.
« Karzai est un leader qui a ses forces et ses faiblesses, a-t-il dit. Mon gars a hérité de cette situation. En disant qu’ils ne peuvent pas travailler avec lui, Holbrooke et l’ambassadeur des États-Unis laissent clairement entendre certaines choses. Ce qui, du coup, réduit la possibilité que nous avons de collaborer avec lui. Car les McCain et les Kerry qui se pointent à Kaboul, prennent rendez-vous avec les Karzai pour ensuite le critiquer lors de la conférence de presse à l’aéroport et rentrer pour participer aux talk-shows du dimanche, franchement, ça ne nous aide pas vraiment. »
J’ai été surpris par sa sincérité. Il me faisait part de ses critiques par téléphone, sur une ligne non sécurisée.
« C’est ultraconfidentiel », a précisé Duncan, en utilisant une expression militaire pour parler d’informations particulièrement sensibles. « Nous n’aimons pas parler de nos déplacements. Mais je te conseillerais d’être à Paris la semaine prochaine. Mercredi ou jeudi. Nous partirons en Normandie le samedi.
– OK, super, d’accord, ai-je répondu. Je vais donc m’organiser pour vous retrouver la semaine prochaine. Quant au voyage, l’essentiel c’est que…
– Tu voudras probablement assister avec nous à une cérémonie qui aura lieu à l’Arc de triomphe le vendredi, et peut-être passer du temps avec le Boss pour l’interviewer. Alors réserve un train pour la Normandie, et rejoins-nous là-bas.
– Cool. Plus je suis dans la bulle, je veux dire…
– Je te tiens au courant pour la bulle. »
Il a raccroché.
J’ai envoyé un e-mail au rédacteur en chef de Rolling Stone : « Je peux aller à Paris ? »
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