Jusque-là Frances ne s'était jamais baignée dans le golfe. Lorsqu'elle songeait à l'eau, il n'y avait que la boueuse Perdido qui lui venait à l'esprit. La voix de la rivière était basse, secrète, composée d'un millier de bruits ténus, ininterrompus, impossibles à identifier. Tandis que celle du golfe était unie, régulière, lourde et puissante. L'eau de la Perdido était noire et fangeuse, comme si elle dissimulait à dessein on ne sait quoi dans ses profondeurs ; l'eau du golfe était lumineuse, bleue et blanche, si transparente que Frances pouvait même voir ses pieds à travers. Le fond de la Perdido était une insondable nappe de boue sombre et étale où des choses mortes étaient emprisonnées ; sous le fracas des vagues, il y avait une étendue compacte de sable blanc et des millions de fragments de coquillages aux couleurs bigarrées. Dans la Perdido, ne nageaient qu'une brème maussade ou un poisson-chat ; ici, il y avait des palourdes béantes sur le sable, des algues marines éclatantes et nettes, d'énormes bancs de vairons et de gros poissons qui surgissaient parfois de la crête d'une vague.