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Critiques de Moshe Lewin (3)
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Russie/URSS/Russie

« Si quelqu’un mis en présence d’un hippopotame déclare avec insistance qu’il s’agit d’une girafe, va-t-on lui donner une chaire de zoologie ? » Moshe Lewin à propos de la caractérisation de l’URSS comme « système socialiste ».



Il convient de lire attentivement la belle introduction de Denis Paillard (publiée sur le blog : entre les lignes entre les mots).



Denis Paillard présente les différents textes de Moshe Lewin et aborde, entre autres, « Qu’est-ce que l’URSS ? », la nature du régime ou des régimes soviétiques, la non prise en considération « de la société, de son évolution sur le plan tant social, national que culturel, ni des rapports complexes qui se jouent entre cette société et le pouvoir », le divorce entre un pouvoir bureaucratique sclérosé et l’émergence d’une société à dominante urbaine et éduquée, les continuités et les discontinuités dans l’histoire et les différentes périodes en URSS, le stalinisme pour « désigner la période où Staline est au pouvoir », la place de la « question paysanne » puis du monde paysan, la permanence du « nationalisme grand-russien », le socialisme « Le socialisme, comme idéal visant à plus de démocratie et à une éthique sociale exigeante, n’a, en tant que système, jamais existé où que ce soit » (Moshe Lewin), la bureaucratie, « La bureaucratie de l’État et du parti est morcelée, ensemble de factions, de cliques et de réseaux au sein des différentes instances du pouvoir, se regroupant dans des jeux d’alliances plus ou moins durables sur la base d’intérêts communs et de positions idéologiques plus ou moins partagées », la fabrication d’ennemis, le culte de l’Etat fort, la société invisible, le totalitarisme comme « caractérisation, souvent caricaturale et simpliste, du pouvoir »…



Le préfacier souligne des conséquences de la guerre civile, de la collectivisation et de l’industrialisation à marche forcée, aborde les questions de pouvoir.



Je reproduis un extrait du Bulletin de l’Opposition plein d’humour noir : « Lénine a ressuscité, il voit qu’il se trouve dans un solide bâtiment gardé par des soldats. – Je dois être en prison, la contre-révolution a triomphé. Il trouve un téléphone et demande Trotsky. On lui répond qu’il n’y a pas de Trotsky. Ce qui le renforce dans l’idée que la contre-révolution a triomphé. Il appelle Rykov au Commissariat du peuple, Zinoviev au Komintern, Boukharine à la rédaction de la Pravda. Toujours sans succès. Mais il se peut que le parti existe toujours, se dit Lénine. Il appelle le secrétariat du comité central. – Camarade Staline ? – C’est pourquoi ? Lénine lui expose la situation. Staline tout en l’écoutant prend un autre téléphone et appelle la Guépéou : – le Vieux [c’est ainsi que Staline désignait de façon méprisante Lénine] a raboulé, il cherche à en savoir trop, faites en sorte qu’il se calme. ».



Dans la préface, je souligne aussi les paragraphes sur les résistances ouvrières individuelles et collectives, « L’importance des résistances individuelles est largement la conséquence de la politique du pouvoir, relayée par l’appareil des syndicats, visant à interdire toute forme d’action collective, de détruire, comme le soulignent Siegelbaum et Suny, toute conscience de classe, par une atomisation où chaque ouvrier se retrouve seul face à l’arbitraire du pouvoir et de la direction de l’entreprise », la mobilité des travailleurs/travailleuses, le contrôle du temps de travail, « Un trait caractéristique est l’utilisation faible du temps de travail mais aussi une productivité très basse », des exemples de grèves…



En guise de conclusion : « L’histoire comme enjeu », Denis Paillard souligne l’insistance de Moshe Lewin pour que les Russes se réapproprient le passé soviétique : « L’histoire est un remède qui doit permettre de recouvrer une identité et un avenir. ». Il ajoute à très juste titre, « Cette invitation, d’une certaine façon, il l’adresse aussi à ceux qui pensent que le combat pour le socialisme fait toujours sens aujourd’hui. »



Je ne vais pas revenir sur tous les points analysés par Moshe Lewin et mis en perspective par Denis Paillard. Je n’aborde que quelques thèmes, d’un point de vue résolument tourné vers les futurs et les émancipations.



Périodisation. Moshe Lewin revient à de nombreuses reprises sur les « ruptures » dans l’histoire de l’URSS, l’impossibilité de nommer l’ensemble sous une seule formule, la nécessité de prendre en compte les changements qualitatifs introduits par les évènements ou les choix politiques. « Chacun des bouleversements successifs qui la caractérisent eu pour conséquence un rétrécissement de la liberté de choisir et d’agir et une réduction des options pour ce qui est du développement futur ». Il y a bien une histoire qu’il convient d’étudier.



Temps long. Moshe Lewin souligne la nécessité d’examiner la période prérévolutionnaire, de réfléchir aux circonstances qui ont rendu possible la chute du tsarisme, de prendre en compte le temps paysan (En complément possible, Arno Mayer : La persistance de l’ancien régime. L’Europe de 1848 à la Grande Guerre). Ce que je nommerai les temporalités discordances des rapports sociaux qui ne sont pas annulées par les ruptures révolutionnaires. J’y reviendrais dans la partie sur la « transition ». Les analyses de l’auteur sur le système agraire, les caractéristiques agraires et rurales, la propriété foncière, ses déséquilibres internes et ses traits « archaïques », son poids spécifique dans l’économie et la société, me semblent très éclairantes. La dimension propre au temps et aux rapports sociaux dans le domaine agraire (ni ailleurs) ne peuvent être réglés par des « méthodes coercitives et administratives de gouvernement ».



Transition. La transition après la rupture (destruction plus ou moins importante de l’ancien appareil d’Etat) est, à mes yeux, en premier lieu, une période de compromis dynamique. Le lent chemin d’un approfondissement – fait de ruptures, de pauses, de reculs – compte tenu des rapports de force – nationaux et internationaux – une longue période d’action sur les contradictions générées par les modifications successives (mais dont personne ne peut prédire le rythme et les cheminements) des organisations sociales…



Quelles que soient les contraintes, les leçons des expériences passées semblent indiquer quelques pistes : prioriser les besoins sociaux élémentaires, améliorer la qualité de vie, favoriser l’auto-organisation et les expériences sociales de réappropriation de l’ensemble des composantes du travail et de la vie. Ce qui implique au moins de construire des institutions qui permettent à la fois les représentations les plus démocratiques à chaque niveau territorial – sans oublier des chambres de représentation transversale ou particulières, le respect des minorités, la prise en compte de tous les rapports sociaux de domination (rapport de classe, de sexe et racisation en particulier), les autonomies culturelles/religieuses/territoriales/linguistiques…



Les plus grands dangers contre les processus d’émancipation restent (hors des interventions des classes dominantes et de leurs alliés) l’autonomisation de l’appareil d’Etat – le développement de bureaucraties et des actions d’auto-protection de leurs intérêts, « le caractère administratif-coercitif du système dans son ensemble » -, la domination de la nation la plus importante, les soi-disant neutralités (masculine, blanche, etc.)



Moshe Lewin analyse particulièrement la NEP (Nouvelle économie politique). Il insiste, entre autres, sur le changement d’orientation de Lénine, la prise en compte du temps, « cette politique doit avancer « infiniment plus lentement que ce que nous avons cru dans le passé » », les dissimulation de vérités…



Il y a là, indiscutablement des leçons à tirer pour d’autres transitions. Mais cet « impensé » en regard du « communisme de guerre », de l’étatisation, la collectivisation « la collectivisation les a privés de leur statut de travailleurs libres », de l’« économie de commande administrative » baptisée planification, pèse dans les projections très simplificatrices et trop peu matérialistes de celles et ceux qui préconisent des politiques de ruptures radicales, sans prendre en compte à la fois les contradictions internes à chaque situation et à la fois les possibles inscrits…



Et pour reprendre un propos de l’auteur cité plus haut, la transition c’est aussi une ouverture de « la liberté de choisir et d’agir et une réduction des options pour ce qui est du développement futur »



Ce qui peut-être posé dans une période de transition vaut aussi, d’une certaine façon, sur les processus de rupture, sur l’avant de la « révolution ». En effet, c’est travers des expériences auto-organisées et concrètes que les groupes sociaux se constituent et peuvent élaborer des possibles émancipateurs. Des expériences pour construire des fronts à vocation majoritaire, pour concevoir des programmes et des hypothèses stratégiques, des lieux – institutionnalisés ou non – d’exercice de souverainetés démocratiques. Dois-je ajouter que tout cela ne peut se cantonner au cadre étatique national, que les émancipations passent par la construction de cadres de socialisation différents et élargis en regard de ce que construit/détruit le mode de production capitaliste.



Je souligne le chapitre sur la guerre civile, la profondeur des destructions. L’auteur parle d’« archaïsation », de désindustrialisation, de l’effondrement des deux capitales, des morts, des désertions, de désintégration sociale… Celui plus particulièrement consacré à Joseph Staline reste incontournable. Il en est de même de celui titré « Rapport d’autopsie ».



Il faut donc lire et discuter ces textes qui font le va-et-vient entre Russie/Urss/Russie, comme par ailleurs les autres travaux de Moshe Lewin.



Nous ne ferons pas l’économie d’un approfondissement de l’étude de ce qui c’est réellement passé, de l’analyse des mesures politiques qui ont aggravé les rapports de force au nom de la puissance de l’Etat ou de l’industrialisation, du nationalisme dominant – ici grand-russien -, etc. Et sur ces différents sujets, Moshé Lewin nous aide à ne pas confondre l’espoir et sa caricature réactionnaire criminelle, à maintenir dans les ténèbres les étincelles de l’espérance, à penser.




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Le siècle Soviétique

Ce livre est une histoire de l'URSS mais pas vraiment d'un point de vue politique mais plutôt d'un point de vue social et sociologique. L'objectif en tout cas est de voir comment le peuple soviétique a évolué et vécu depuis la révolution de 1917 jusqu'à la chute de l'URSS en 1991. L'auteur s'est appuyé sur les archives mises à disposition dans les années 90 pour distinguer différentes époques liées aux dirigeants en place. Le tableau qu'il dresse en définitive de l'URSS et de la vie en URSS est bien différent de celui qui est en train de se figer dans nos esprits vingt-ans après la fin de l'URSS. Ce tableau, qui me semble néanmoins sans concession, est moins noir que prévu et évite la comparaison systématique (même si les dirigeants soviétiques eux la faisaient en permanence) entre l'URSS et les pays occidentaux. Comme Chomsky le rappelle souvent, on oublie souvent l'état de la Russie de 1917 avant de faire une analyse critique des soixante-dix ans qui ont suivi.
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Les sentiers du passé. Moshe Lewin dans l'his..

Des petites étincelles dans les ténèbres



Denis Paillard dans sa préface « Un homme dans l’histoire » présente l’auteur, cet homme dont le « statut de « survivant » n’a cessé de le hanter toute sa vie », ce « Juif non juif » pour utiliser une formule d’Isaac Deutscher, son parcours, ses travaux d’historien « pas comme les autres », un historien qui s’intéresse aux « gens d’en bas » et dénonce « ceux qui ne considèrent l’histoire qu’à travers les hommes et les lieux de pouvoir », un historien revendiquant « une démarche comparative », déniant à l’URSS tout caractère de socialiste.



C’est justement l’attachement de Moshe Lewin au socialisme qui lui a permis de rendre compte « de la singularité du système soviétique », de cette succession « de crises et de périodes de développement ou de stagnation et même de régression ».



Les textes présentés sont d’ordres différents. Certains autobiographiques retraduisent bien, à mes yeux, les parcours dans cette Europe du début du vingtième siècle, le vivre avec l’antisémitisme, Wilno, l’Hashomer Hatzaïr et l’autodéfense, puis en URSS la vie d’ouvrier d’usine et de kolkhozien, Israël, l’étude de l’histoire, le « métier » d’historien…



Moshe Lewin comme il l’écrit lui-même, dans une correspondance, « saute d’un sujet à un autre avec le sentiment que je n’ai pas dit tout ce que je voulais – en fait, je ne sais pas exactement où je vais. J’allume l’ordinateur et j’écris, sans me soucier à l’avance de la cohérence du récit ». Le temps et un retour à Vilnius dans les années 1970, « Malheureusement, tous sont morts ou ont été tués. Fenêtres et balcons des morts ».



La description de l’itinéraire d’historien est passionnante, l’imbrication du soi et des autres, « désormais nous étions personnellement partie prenante de cette barbarie en marche, comme victimes, témoins ou rescapés chanceux », la prise en compte de la haine des Juifs, « Non pas parce mes morts sont plus morts que les autres morts » ou « les larmes sont les mêmes chez tout le monde et pour tout le monde » pour une compréhension de la longue histoire, du spectacle d’une dégradation humaine… Une incitation à interroger et à interpréter, « C’est une incitation à traiter sur un mode interprétatif d’un passé plus long et même à essayer de faire des pronostics », à comprendre les sociétés en crise, les Etats en folie, les « temps du mépris », les politiques abominables, l’acharnement « à nier toute responsabilité et à rejeter la faute sur d’autres »…



Les apports de l’auteur sur l’Urss sont considérables, la place des paysan-ne-s, le stalinisme et son extermination de l’héritage révolutionnaire, la transformation d’un pays majoritairement rural en société urbaine et industrialisée, le travail souterrain des forces sociales, la place de la propagande comme mensonge institutionnalisée, les droits réels et l’absence de droits politiques, la paysannerie comme « système social et culturel » et donc la nécessité de parler de « plusieurs paysanneries », les rapports entre « plan et processus », le passage du stalinisme à un « système de commande administrative », l’entremêlement du travail créatif et du déluge de terreur, les places des bureaucraties, le gaspillage massif…



J’ai aussi été intéressé par les propos de Moshe Lewin sur l’histoire, ses allées et retours entre éléments biographiques et analyses, sa critique du nationalisme (« n’aimer qu’un coté du fleuve et mépriser l’autre rive ») ou des mouvements romantiques, la prise en compte des individu-e-s et de leurs corps, l’insistance sur les environnements socio-historiques, le refus d’en rester ou de réduire la « politique » aux partis politiques, son accord avec la méthodologie de Karl Marx, « Combiner un concept relatif aux rapports socio-économiques dans leur complexité à un autre concept relatif aux principales divisions sociales de l’époque, afin d’établir en quoi consiste le système et vers quoi il évolue, est une bonne façon de voir les choses »…



L’auteur critique, entre autres, la fabrication des mythes, l’école « totalitaire », son « présent éternel », sa « conception plate », son refus de prendre en compte l’histoire et les contradictions ou la complexité croissante du système en Urss, et aussi « la fiction de l’idéologie socialiste »…



Moshe Lewin souligne aussi la crise « des grandes théories du développement social et historique en général », la richesses apportée par la diversité des angles de vue. Il parle de dissonance entre le système social et les institutions, de découpage « en séquences successives correspondant à des changements et à des étapes », d’historicisation, de personnalité comme concept social, du stalinisme comme « alternative au bolchévisme qui épouse les pires modèles du despotisme prérévolutionnaire ».



Une leçon à la fois d’espérance et d’analyse critique, le refus de la réduction de la complexité à des « concepts » sans histoire, et un apport considérable à l’histoire des formations économico-sociales dans l’ex-Urss. Il convient bien d’entreprendre des analyses de « la révolution d’octobre à l’épreuve de l’histoire ».


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