Nadalette La Fonta - Nos tempêtes sont à la hauteur de nos rêves
"Je ne suis plus rien, ni femme, ni aimée, ni aimante, ni mère, jamais bonne, juste mauvaise ......."
"L'incapacité est une petite mort sociale.
D'abord on n'y croit pas, impossible d'être privée de ses fonctions élémentaires, de son autonomie de base, de son indépendance , ce n'est pas vrai, ce n'est pas possible, cela ne va pas durer, ce n'est pas moi ..Même pas inquiète du diagnostic des médecins, c'est un test, un essai, un passage, un mauvais feuilleton transitoire ........"
D’abord on n’y croit pas, impossible d’être privée de ses fonctions élémentaires, de son autonomie de base, de son indépendance.
Ce n’est pas vrai, ce n’est pas possible, cela ne va pas durer, ce n’est pas moi.
Même pas inquiète du diagnostic des médecins, c’est un test, un essai, un passage, un mauvais feuilleton transitoire.
Je n’ai pas du courage, j’ai du déni, un déni si fort, si certain que le dire médical ne m’atteint pas.
La fatigue, le choc, les médicaments, je n’ai d’abord pas compris ce qu’on m’a annoncé, puis j’ai compati à cette histoire d’une autre que l’on me racontait.
"Ma vie est devenue un tortillard, un train fantôme .
Je m'y meurs d'ennui.Asphyxie mentale et affective .
Éloge de la lenteur , mon cul !"
Comment accepter? Comment vivre si je n'accepte pas?
Accepter est- ce se résigner ?
Comment être vivante , si je ne me répproprie pas ma vie comme pleine de sens , si je ne fédére pas tout ce qui en moi est éparpillé, épars, en perdition ?"
C'est mon histoire, ma découverte, mon aventure, ma vie. Je ne m'étais instinctivement pas reconnue à l'époque dans l'enfant soumise aux règles de ses parents et des convenances. Même si je reconnais leur être aussi redevable.
Je ne me retrouve certes plus dans l'esclave de cette seule ambition de réussir qui m'a animée longtemps. Quelque gratitude que j'ai pour elle. Je ne me reconnais plus en celle qu'on a supposé éternellement forte et indestructible. Celle qui ne doit rien demander, rien espérer, qui ne vaut rien et qui ne doit pas attendre de réciprocité, d'amour, d'empathie, de respect et surtout de tendresse et d'attention. Je sais sa souffrance et je la berce de ses peines que nul ne veut encore entendre. Je sais que cette guerrière est une illusion. Un leurre qui permet à ceux qui confondent force et puissance, et qui n'ont pas le courage de me reconnaître pour celle que je suis, de se donner bonne conscience et de ne pas me respecter. Je la remercie de m'avoir protégée. Mais je sais aussi qu'elle s'est révélée in fine incapable de le révéler, de me défaire d'une liberté conditionnelle castratrice.
Je ne me reconnais plus en victime, subissant les reproches, s'immolant au plaisir de l'autre, au désir de l'autre, servante du confort des autres, de la satisfaction de leurs besoins et de la réalisation de leurs rêves. Je ne veux plus faire semblant pour satisfaire à la tranquillité de leurs esprits, pour préempter leurs plaisirs, ni concourir à leurs exploits. Je me répare de ma solitude, des abandons et des abus.
Je me sais mortelle, fragile, vulnérable, éphémère, et je me déclare pour telle.
Quand je suis revenue les week-ends à la maison, en ambulance, fragile et immobile, dépendante de tout et de tous.
Joie, certes, de me voir, mais aussi envie viscérale de me fuir, de fuir la maison avec moi dedans, d’échapper à tout ce qui était intolérable, m’habiller, me déshabiller, même si leur père le faisait à 90%, me préparer et m’aider à me nourrir, vider l’urinoir, changer les couches pleines, les draps souillés, plus tard me véhiculer en fauteuil roulant, me redresser, me couvrir, me chausser.
Me pourvoir en tout, lumières, musique, boissons, froid, chaud, handicapée handicapante.
Le malheur touche chacun de nous, à sa façon, taillé et aigu comme un diamant. Et on lui fait face, je lui fais face. Vous aussi qui me lisez.
La haine est le ciment depuis plusieurs générations de ma famille maternelle, et les blessures se reproduisent, ou s’aggravent au fil du temps. En tous cas se répètent. Égrégore des femmes blessées, donc blessantes, des femmes fortes, castrées. Castratrices.
Douleurs neuropathiques : le mot a été posé, étrange, étranger. J’en ignorai tout jusqu’au mot, elles ne me quitteront plus, leur dénomination restant toujours aussi mystérieuse que leur origine et leurs manifestations.
[...]
Ce jour-là, je ne comprends pas la douleur : d’habitude, elle est directe, lisible, on a une blessure, une fracture, un déchirement, une maladie, et on a mal. Direct du producteur au consommateur.
Mais là, c’est autre chose, vraiment pernicieux : on a mal, mais en fait on n’a pas mal, le mal est une illusion atroce des neurones saturés, déphasés, en bataille, en vrac.
Au seul mot - piqûre - , c’est mon envie de vivre qui fond à son tour : en six mois, mes veines ont crié grâce à force d’être massacrées, déjà qu’elles étaient délicates.
Désormais, je tremble de peur dès la veille d’une piqûre.
Et à chaque fois, c’est massacre à la tronçonneuse, la veine se barre, roule, on me pique deux fois, trois fois, quatre fois, jusqu’à ce que je pousse un hurlement : ça suffit, on arrête.