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Citation de Woland


[...] ... Certains épisodes de mon enfance sont enchâssés dans mon esprit dans toute leur précision, dans toute leur clarté ; mais la journée d'hier s'estompe dans une espèce de brume, une bouillie informe, où les événements se mélangent les uns aux autres. Le temps agrège les souvenirs aussi sûrement que le béton. Cela me surprend toujours. Je me demande s'il n'y aurait pas là un processus de fixation. La seule chose que je puisse affirmer sur la journée d'hier, c'est qu'à nouveau il y a du monde dans le grenier, des connaissances de Mme Wilkinson. Cela m'avait échappé jusqu'à maintenant, mais la propriétaire de cette pension (logement tout à fait provisoire) porte curieusement le même patronyme que la femme qui détruisit ma famille, il y a de cela vingt ans. Le nom est d'ailleurs la seule chose qu'elles aient en commun. Cette Mme Wilkinson-là est bien différente d'Hilda Wilkinson. Elle est, il est vrai, revêche et agressive, grosse comme l'était Hilda, mais elle ne possède ni la vitalité, ni l'impudence de l'autre ; ce qui l'intéresse, c'est de contrôler tout le monde. Ceci me ramène à ces gens dans le grenier hier soir. Mais à la réflexion, je crois que je parlerai d'eux plus tard.

Du canal, il me faut environ dix minutes pour revenir chez Mme Wilkinson. Je ne marche pas vite ; j'ai tendance à traîner les pieds ; j'ai souvent besoin de m'arrêter net au milieu de trottoir. J'oublie comment on fait, voyez-vous, car pour moi, depuis mon retour du Canada, plus rien n'est automatique. Les choses les plus simples, manger, m'habiller, aller aux toilettes, me posent parfois des problèmes insurmontables. Ce n'est pas que je sois handicapé physiquement, mais il m'arrive de perdre la sensation simple, qui autrefois m'était naturelle, d'habiter mon corps. Chez moi, le lien entre le cerveau et les membres, ce mécanisme sophistiqué, se grippe souvent. A la grande exaspération de ceux qui m'entourent, il faut que je m'arrête, que je réfléchisse à ce que je suis en train d'essayer de faire et alors, lentement, les rythmes fondamentaux se réinstallent. Cela m'arrive surtout quand je suis plongé dans le souvenir de mon père. Je dois donc m'attendre à quelques semaines difficiles ; car, dans ces moments-là, Mme Wilkinson perd patience et c'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai l'intention de quitter sa pension, sans doute au début de la semaine prochaine. ... [...]
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