Pierre Verluise

Les frontières de l’Union européenne sont sans cesse repoussées. Longtemps bornée par le mur de Berlin, l’Europe de l’Ouest s’étend désormais à l’Est voire au Sud sans qu’on sache clairement où s’achèvera ce processus d’expansion territoriale.

L’Union européenne a accueilli le 1er juillet 2013 son 28ème Etat membre la Croatie. Cinq Etats ont le statut officiel de candidat : la Turquie, l’Islande, le Monténégro, la Macédoine et la Serbie. D’autres candidats potentiels ambitionnent de l’avoir bientôt (la Bosnie-Herzégovine, l’Albanie, le Kosovo, la Moldavie …) laissant augurer à terme une Europe à 35 ou 36 membres.

Pierre Verluise, directeur du site Diploweb.com, consacre aux pays frontaliers de l’Europe un ouvrage accompagné d’une cartographie bigarrée mais pas toujours pertinente. Il est divisé en trois parties. La première présente les élargissements à venir et consacre un chapitre – qui pour instructif qu’il soit est probablement hors sujet – au Service européen pour l’action extérieure (SEAE). La deuxième s’intéresse à l’Est : la Russie, l’Ukraine et les pays du Partenariat oriental. La troisième est consacrée au Sud : l’Union pour la Méditerranée, l’aide au développement et le Maroc.

Son ouvrage n’évite pas le piège de l’accumulation monographique. Chaque pays candidat, déclaré ou potentiel, ou simple voisin sans espoir d’adhésion, est étudié l’un après l’autre. Pour chacun, la même grille d’analyse répétitive est reproduite : population, superficie, indice de fécondité, PNB/habitant … L’ennui qu’inspire ce passage en revue monotone cède parfois devant quelques analyses pénétrantes : ainsi de celles consacrées au délitement de la Révolution orange en Ukraine ou à l’entrisme russe sur le marché européen de l’énergie. Très décevant en revanche est le chapitre sur la Turquie, uniquement appréhendée sous les deux angles économique et démographique en laissant de côté les autres dimensions de cette candidature controversée …



L’élargissement de l’Union européenne et la relation qu’elle devra nouer avec ses marches méritaient mieux. Le processus ne se réduit pas à la juxtaposition d’une série de relations bilatérales. Il dépend autant sinon plus des mérites de chaque candidat que de la capacité de l’Union à l’accueillir. Si l’on n’a pas cette dimension à l’esprit, on ne comprendra rien à la candidature turque : les réticences qu’elle inspire en Grèce ou à Chypre, le basculement du centre de gravité européen que son adhésion serait susceptible de provoquer.

Faire la géopolitique des frontières européennes aurait supposé un détour par Bruxelles que Pierre Verluise a négligé. On aurait aimé comprendre comment se fabrique la politique de voisinage de l’Union européenne. Le chapitre consacré au SEAE, trop général, qui accumule les lieux communs sur les accusations d’incompétence de Lady Ashton et le refus des États membres de lui déléguer une part de leur souveraineté, est trop général. Il aurait fallu une analyse plus fine de la répartition des tâches entre Lady Ashton, Stefan Füle et Andris Piebalgs, respectivement Haut représentant pour l’Action extérieure, Commissaire à l’Elargissement et Commissaire au Développement, et sur la façon dont leur autorité s’exercent au sein des délégations de l’Union européenne dans les pays frontaliers.

Il aurait surtout fallu s’interroger sur la finalité des élargissements de l’Europe. Soucieuse de répondre au flatteur « désir d’Europe » que la candidature de ces pays exprime, l’Europe continuera-t-elle à s’agrandir au risque de se diluer ? Laissera-t-elle en suspens la question de ses limites géographiques, permettant ainsi de laisser ouverte ce processus toujours recommencé ? Ou aura-t-elle le courage, comme l’y incitent régulièrement ses hommes politiques et ses peuples, à mettre un terme à cette « fuite en avant ».

Le livre de Pierre Verluise, aussi joliment illustré soit-il, peine à fournir les clés pour répondre à ces questions essentielles.