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Citation de Charybde2


– Reviens en septembre, dit le Chauve en fouillant dans le tiroir de son bureau. Je te promets un bon rôle.
Il n’arrêtait pas de fouiller dedans quand on lui parlait de travail et d’argent. Il y plongeait le nez et il n’y avait pas moyen de l’en sortir.
– Ça fait loin, insistai-je.
Il regarda ses mains. On aurait dit qu’il ne les avait pas vues depuis des années et qu’il ne savait qu’en faire.
– Les enregistrements sont suspendus.
Du tiroir sortirent les bruits les plus variés : bois contre métal, papier contre plastique, ses mains contre tout.
Nous étions en avril. Il me restait de quoi payer mon loyer et manger pendant un mois. La veille, j’avais terminé les enregistrements et reçu mon dernier chèque, plus les soixante-dix pesos d’indemnités agrafés à la lettre de félicitations du directeur.
Deux cent vingt-cinq pesos pour survivre jusqu’en septembre.
– Excuse-moi, mais le budget était trop juste, dit le Chauve.
Il eut un sourire joyeux et sortit du tiroir un nécessaire à ongles d’un rouge agressif. Il l’ouvrit, regarda à l’intérieur, caressa le contenu du bout de l’index et se décida pour un instrument qui ressemblait à un bistouri.
– Vous avez acheté un enregistrement vénézuélien, l’accusai-je. Qu’est-ce que vous leur trouvez aux Vénézuéliens ?
Il haussa les épaules et entreprit de se curer les ongles, mais comme si cela n’avait pas d’importance. Ils étaient irréguliers, semblaient taillés au couteau. Aussi propres que ceux d’une nonne cloîtrée.
– Les Vénézuéliens les envoient enregistrés et ils reviennent moins cher. Reviens en septembre.
Je lâchai une insulte et il sursauta ; c’était la première réaction incontrôlée que je lui voyais. Il me regarda comme si j’avais tiré un boulet de canon près de son oreille. La frayeur dura deux secondes. Il passa ensuite sa langue sur le bord de l’ongle qu’il venait de nettoyer et il me regarda avec un sourire qui n’avait plus rien de joyeux.
– Tu n’as rien d’ici à septembre ?
– Non.
Il haussa de nouveau les épaules et passa sa langue sur le fil de son ongle.
– Ta voix ne convient pas pour les publicités, dit-il sur un ton compatissant. Tu es trop connu. Tu es le méchant des feuilletons radiophoniques, et ça ne fait pas vendre. Tu enregistres une publicité pour Coca Cola et Coca Cola fait faillite. C’est aussi simple que ça.
Je détestais sa manière de se nettoyer les ongles (parfois il s’arrachait les poils du nez ou perçait un bouton). Je détestais sa manière de se lécher les ongles. Je détestais tout ce qui se trouvait derrière ses ongles. Je voulais partir mais ne le pouvais pas : j’avais besoin de travail ou bien les choses tourneraient mal.
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