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Citation de Charybde2


Contrairement à ce tragique 15 avril 2019 qui avait vu la grande dame s’effondrer sur elle-même dévorée par les flammes, au printemps 1990, lorsque nous avions gravi une à une les quatre cent vingt-deux marches de la tour nord, le ciel gris pesait sur Paris et sur nos têtes, comme le spleen baudelairien sur le crâne incliné du poète que je lisais et relisais en boucle, creusant ma douleur sans relâche, ne le délaissant que pour les chants du montévidéen, l’un remplaçant l’autre dans ma poche, même lorsque je n’arrivais plus à les lire, les yeux vitrifiés par la quantité industrielle de shit que nous consommions du matin au soir et du soir au matin avec la frénésie des affamés se jetant sur leur premier repas servi après des jours de jeûne. C’était d’ailleurs le prétexte qui nous avait convaincus de tenter l’ascension du beffroi malgré notre état de fatigue avancée, de nous fumer un gros spliff bien chargé en dominant cette ville où nous errions depuis des mois et qui nous rejetait sans cesse à la rue, amants maudits seulement préoccupés par nos recherches de came et les moyens de la financer. Ayla s’était fait virer de chez elle après que sa mère avait découvert qu’en plus de son argent de poche déjà très conséquent, sa fille tapait dans l’enveloppe toujours pleine du liquide que rapportaient ses transactions de bijoux plus ou moins légales qu’elle cachait dans le salon télé du penthouse de la rue Magellan. Moi, il y avait longtemps que l’appartement familial ne me servait plus que d’adresse officielle. Quatre ans pour être précis, depuis le milieu de l’année 1986, lorsque la violente dépression de mon jeune frère, les coups rageurs de ma mère et la lâcheté de mon père m’avaient peu à peu et conjointement jeté dans les bras des marges qu’incarnaient alors les bandes de chasseurs de fafs qui pullulaient dans mon lycée. J’avais treize ans et demi et je m’étais également mis à fumer mes premiers joints que nous allions rouler et partager dans le square au bout de la rue de Seine ou le petit jardin de la rue Visconti, le soir après les cours où je continuerai encore d’aller à peu près régulièrement jusqu’au mois d’octobre de la même année. C’est à cette période que je m’étais rasé la tête en n’y laissant qu’une mèche en forme de houppette au sommet, mis à porter mes premiers jeans retroussés sur mes paires de docks coquées, à arborer fièrement mon Teddy ou mon Harrington brochés de pins explicites qui étaient censés marquer mon appartenance aux courants combattants de la gauche radicale et de la mouvance anarchiste, bien trop inculte pour savoir ce qui pouvait les différencier, pire, ce qu’il pouvait y avoir d’absurde à accoler la batte et la faucille et le A noir cerclé, ma seule et unique obsession tenant à afficher mon rejet absolu et définitif des racistes du GUD qui descendaient régulièrement nous dépouiller à la sortie du bahut les samedis midi, en ce début d’année 1986 qui, je ne le savais pas encore, marquerait la fin de leur domination sur le cœur de Paris. Mais au printemps 1990, il y avait longtemps que j’avais laissé tous ces engagements derrière moi pour leur préférer le rêve alambiqué et brumeux d’une osmose sexuelle universelle et éternelle, au rythme des beats électriques et hallucinés qui nous arrivaient de Detroit et depuis peu de la nouvelle Berlin réunifiée.
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