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Citation de Charybde2


Et dans le fond, avais-je tenté de dire à ma belle russophile en rentrant, ce gamin de vingt-cinq ans qui avait essayé de m’expliquer la nuit durant la parfaite cohérence de son ambition d’imiter les Beatles avec son groupe de rock de l’université où il étudiait les sciences politiques, son nécessaire pèlerinage à cheval jusqu’à Serguiev Possad, le réel respect de sa compagne que constituait le lampage de shots de tequila sur le pied nu de la barmaid en attendant que la grande Russie n’ait enfin réglé la question de l’Est en reprenant Sainte-Sophie aux Ottomans, lui qui ne dépareillait en rien de cette jeune femme aux cheveux mauves, piercée et tatouée qui avait déboulé sur son skate, dans son baggie trop large, à l’angle de la rue de mon hôtel à Saint-Pétersbourg, en laissant derrière elle la criarde clarté de l’une de ces enseignes américaines, c’était ça l’impression étrange que m’avait laissée la Russie, ce cocktail improbable de culture yankee, de soumission au soft power du vieil ennemi tout en clamant sa résistance, son patriotisme et le renouveau de sa très orthodoxe piété encouragée à grand renfort de contrat public-privé, par l’indéboulonnable seigneur du Kremlin que je n’avais pu m’empêcher de revoir tout au long du séjour, chevauchant crânement la Harley Davidson prêtée par les Loups de la nuit, la horde de bikers dirigée par Alexander Zaldostanov et conjointement parrainée par le patriarche de l’Église orthodoxe et Vladimir Poutine lui-même.
Absurdité d’un monde où plus personne n’entendait faire de choix, ni incarner quoi que ce soit, sauf la représentation éclatée et multiple d’une image composite de soi, réalisée avec n’importe quelle application permettant cela sur Instagram. Qui suis-je ? Ça, son contraire et le reste, le puzzle de symboles quêtés de-ci de-là, au gré de mes errances virtuelles et agrégées via Layout dans l’ignorance volontaire la plus totale. Ce que, dans le fond, laissait déjà entendre d’elle-même la révolte jaune le premier samedi de novembre, comme cette Russie moderne d’où je revenais et tous ces profils Facebook, Twitter ou Instagram qui défilaient depuis douze ans sur les écrans de mon ennui, le fruit d’une consommation compulsive guidée par la seule inquiétude de n’avoir pas tout.
« De n’avoir pas tout, en même temps, comme ne cessait de le clamer à tout va le jeune président de la République française qui ne voyait d’autre issue aux profondes fractures qui morcelaient ce pays que l’accomplissement consumériste total, au mépris de l’agonie d’une planète qui semblait pourtant ne plus être un secret pour personne et de cette absence dramatique de sens, ce vide au bord duquel nous dansions encore avant de tomber.
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