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Citation de Livretoi


Juliette se montre, - non sans motifs, il est vrai,- de plus en plus jalouse, tantôt de Judith Gautier, tantôt de Sarah Bernhardt, tantôt de Jane Essler, tantôt de Nina de Gallias, tantôt de Blanche.
Car, malgré tous ses serments, Hugo, nous l’avons vu, s’est trouvé dans l’impossibilité physique et morale de rompre avec Blanche. Cela, sans doute, Juliette alors n’en sait rien ; mais, devant l’assaut des femmes du monde, des comédiennes, des bas-bleus, et, il faut le dire, des caméristes au service de Mme Charles Hugo, la malheureuse perd pied et se répand en reproches véhéments. Sans doute s’agit-il d’amours ancillaires, et peut-être même de Blanche, dans cette tendre exhortation : A une Immortelle, datée du 7 juillet 1874 :

Quoi ! vous, gloire, auréole, éblouissement, grâce,
Vous qui ne passez pas, vous craignez ce qui passe ?
Comment ! vous, la beauté céleste, vous craignez,
Déesse, la beauté d’en bas ! Vous qui régnez,
Vous redoutez l’éclat éphémère de celles
Qu’avril jette et qui sont comme ses étincelles,
Qui, comme la verveine et la sauge et le thym,
Naissent dans la lueur fuyante du matin,
Embaument, un moment, les prés et les charmilles,
Et qui durent autant que l’aube, étant ses filles !
Vous, jalouse ! de quoi ? vous, troublée et pourquoi ?
Le jour sans nuit, c’est vous ; l’amour sans fin, c’est toi.
Qui peut-elle envier, celle que tout envie ?
Qui donc détrônerait du trône de ma vie
La beauté ? qui pourrait saisir ce diamant,
Vénus, et l’arracher du fond du firmament ?
Sois calme, en ton azur. Que t’importe, à toi, flamme,
Clarté, splendeur, toujours présente comme une âme,
A toi l’enchantement de l’abîme vermeil,
Faite pour le baiser éternel du soleil,
Qu’un rayon en passant sur une fleur se pose ?
L’étoile au fond des cieux n’a pas peur de la rose.

Mais, si l’étoile avait peur de la rose, et il y avait tellement de roses sous les pas du vieil homme, toujours jeune de cœur et dont l’exigeante virilité, loin de diminuer, semblait augmenter avec les années !
Dans tout nouvel amour, il y a beaucoup de curiosité ; et à cet égard la vieille « maîtresse… d’école », comme il l’appelait non sans cruauté, n’avait plus rien à lui apprendre. Tandis qu’en vérité, chacune de ces roses, parfois très vulgaires, lui apportait un parfum nouveau, des motifs imprévus d’exaltation lyrique…
« vestigia flammae », de ces « disjecta membra », souvenirs émouvants d’un instant de volupté, combien en trouve-t-on sur ces feuillets épars, deux vers, trois vers, parfois un seul alexandrin, souvent d’une beauté magnifique, recueillis dans Océan, dans Tas de pierres, dans Pierres, combien d’autres encore inédits !... Et cela, seul pour qui a le sens de la beauté poétique, suffirait à tout justifier. La rose… L’auteur des Misérables y pense, après une rencontre avec quelque Fantine :

Elle est…
Comme la rose à qui l’aube à peine avait lui,
Qui se sent, pauvre fleur, pour le plaisir d’autrui,
Arracher à la vie, à sa tige, à sa feuille,
Et verse son parfum sur la main qui la cueille.

Mais c’est surtout dans La Légende des Siècles, «le Groupe des Idylles », tout imprégné de Blanche, où la rose triomphe chez Hugo, pour le moins autant que chez Ronsard, dont, au reste, il n’a garde d’oublier l’amour que celui-ci ne cessa de porter à la plus belle des fleurs :

Et je rends grâce à Dieu, car il fit plusieurs Eves,
Une aux longs cheveux d’or, une autre au sein bruni,
Une gaie, une tendre, et, quand il eut fini,
Ce Dieu, qui crée au fond toujours les mêmes choses,
Avec ce qui restait des femmes, fit les roses.

Que l’étoile eût peur de la rose, Juliette n’en fait point mystère : « Sois sûr, mon grand bien-aimé, qu’il n’y a pas de petites infidélités, pas plus au ciel que sur la terre, et que la pauvre étoile, amoureuse du soleil, souffre autant d’un rayon qui, en passant, sur une fleur se pose, que la pauvre âme d’ici-bas souffre du regard de l’homme qu’elle adore, arrêté sur une autre femme, fût-ce une passante des rues… »

« La plaie vive de la femme… »
Le mal est sans ressource, et jamais Juliette ne s’est montrée et ne se montrera si clairvoyante que dans sa lettre du 28 juillet 1874, lettre où elle prononce quelques mots très graves – et très vrais : « Tu souffres de la plaie vive de la femme qui va s’agrandissant toujours, parce que tu n’as pas le courage de la cautériser une fois pour toutes… » « Facile à dire », dut penser Olympio. Mais Juliette n’est point sotte et elle-même a pris les devants : « Mais que faire à cela ? Le remède, s’il y en avait un, serait pour ta généreuse et galante nature pire que le mal. Tu as besoin d’obliger tous ceux qui s’adressent à toi et tu aimes le marivaudage, quel qu’il soit, même de raccroc… » En fait, elle-même l’a compris, situation sans issue.

Que de fois celle-ci a-t-elle écrit à son vieil amant : « Je déserte le combat dans lequel je n’ai plus que le ridicule pour arme, mais j’accepte le sacrifice héroïque qui te donnera le bonheur… » Très beau, mais… ce sacrifice, elle ne l’a jamais accepté. Vieillie avant l’âge, incapable depuis bien longtemps d’inspirer le désir et de donner le plaisir, Juliette ne peut admettre l’idée qu’Olympio sent encore, dès que Ruth apparaît, se dresser en lui toute la virilité de Booz… Et, à cet égard, la lettre du 18 avril 1878 atteste la douloureuse inintelligence d’un tel conflit : « Tu m’épargnes trop soigneusement la peine d’envoyer celles (les réponses) que tu fais aux femmes de ton choix et de tes relations. Témoin celle que tu as écrite à Mlle Jane Essler en catimini ; pourquoi ? that is the question, qu’on peut traduire uniformément dans toutes les langues par cette réponse : parce que l’homme est toujours à l’état permanent d’infidélité soit rétrospectivement, soit au présent, soit en pensée, soit en paroles, et en action…

En fait, avec les années, l’humeur jalouse de Juliette, loin de se calmer, s’était encore aigrie, si bien qu’au début d’août 1878, elle ne craignit pas de briser ce cœur qu’elle adorait, en menaçant de fuir à jamais son vieil amant.

A la longue, cette jeune femme (Blanche Lanvin) que le vieil Hugo avait tant désirée et tant aimée, jugeant la partie perdue, se lassa d’attendre. Sa disparition fut complète.
Juliette cependant luttait en vain contre le flot toujours accru des intrigantes et contre le mal atroce qui la rongeait.
Toute l’année 1879, qui, en mars, vit disparaître Léonie d’Aunet, la pauvre Juliette ne cessera d’être torturée par la jalousie. Blanche éloignée, que Hugo dut pourtant revoir, le 13 juin, il y a encore Judith Gautier, et combien d’autres !... Léonie de Vitrac, par exemple.

A cet égard, il est permis de croire que si l’on eût laissé à ce grand homme qui l’aimait la jeune Blanche qui l’adorait, la dignité de ses dernières années eût été mieux sauvegardée !
Car, c’est un fait, le 5 avril 1885, quelques semaines avant de succomber, Olympio goûtait encore le plaisir de vivre dans les bras de l’Éve éternelle. Y eut-il synchronisme entre cette singulière ténacité sexuelle (son carnet commencé le 1er janvier 1885, atteste que, durant ces premiers mois, Hugo, connut huit fois la volupté) et la permanence de son génie créateur ?

Le génie consiste-t-il dans l’abandon à la vie instinctive ou, au contraire, dans l’effort accompli pour refouler ou « sublimer celle-ci ? Or, nous savons que chez Hugo, cette lutte pathétique n’a cessé d’exister à tous les âges.

Dieu est dans le baiser,..
Amour ! Abîme ! Extase ! Ombre de Dieu sur l’homme !
Bonheur géant qui fait les autres plaisirs nains,
Hymen des sens virils et des sens féminins,
Sollicitation effrénée à la vie,
Palpitation sainte et jamais assouvie
De deux âmes mêlant sous leurs baisers deux corps !


Il date de 1876, ce cri douloureux entre tous : « Ce qu’on appelle passion, volupté, libertinage, débauche, n’est pas autre chose qu’une violence que nous fait la vie… »

Et cette fois, encore, on pense à l’inexorable tentation des Fleurs du Mal… Ébauche sublime, d’ailleurs, comme le sont tant d’ébauches :

Heureux qui, possédant la chimère éternelle,
Livre au monstre divin un cœur ensanglanté,
Et savoure, pour mieux s’anéantir en elle,
L’extase de la mort et de la volupté,
Dans l’éclair d’un baiser qui vaut l’éternité.
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