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Citation de mimo26


Une enfance à Wroclawek
J’avais quatre ans lorsque les troupes allemandes ont envahi la Pologne en 1914. Notre famille occupait un appartement à Varsovie où nous vivions à huit. Hedja avait 15 ans, Fella 13 ans, Lonia 11 ans, et Regina, la plus petite, 9 ans. Mon frère Charles avait deux ans de plus que moi.

Mon père Nathan était artisan menuisier depuis de nombreuses années. Il avait son petit atelier dans la cour de l’immeuble en dessous de chez nous. En 1914, il employait quatre ouvriers. Homme mince, discret, il avait la passion de son métier et certainement le goût du travail bien fait. Ses clients ne s’y trompaient pas et venaient d’assez loin pour lui commander des meubles originaux, armoires ou buffets. Rappelons qu’à cette époque, les meubles étaient fabriqués à la main pour durer toute une vie. J’ai très peu connu mes grands-parents maternels décédés au début de la guerre. Mon grand-père paternel avait la réputation d’être très religieux, mon père, lui, tout en étant moins strict, était néanmoins croyant et pratiquant.

En 1914, lorsque les Allemands sont entrés dans Varsovie, mon père a été obligé de fermer l’atelier. Les ouvriers n’avaient pas l’intention de rester dans la ville occupée. Les Polonais commençaient alors à souffrir gravement des restrictions. Ils avaient plutôt tendance à vendre leurs meubles pour se faire un peu d’argent qu’à en acheter. Les ouvriers partis et les commandes annulées, il n’était plus possible pour mon père de continuer dans ces conditions. Ceux qui le pouvaient quittaient Varsovie avec leur famille. Je me souviens que l’un de ses ouvriers avait quitté précipitamment la ville pour se réfugier à la campagne dans la ville de Wroclawek, située à environ 120 km au nord-ouest, sur les bords de la Vistule. Lors d’un retour à Varsovie, il était venu voir mon père pour lui expliquer que les conditions de ravitaillement étaient cent fois meilleures là-bas. De fait, on manquait déjà pratiquement de tout après quelques semaines d’occupation. Les Polonais avaient littéralement vidé les magasins avant l’arrivée des Allemands. Je me souviens que pour se procurer un peu de charbon et des pommes de terre, il fallait faire la queue devant les magasins dès 4 heures du matin. La misère s’installait. C’était terrible.

Cette description rassurante de Wroclawek incita mon père à organiser notre départ dans cette ville. À cette fin, il glissa une somme rondelette dans la poche de ce bonhomme pour qu’il nous trouve un appartement. Le message arriva deux mois plus tard, confirmant qu’il nous avait trouvé un petit logement à Wroclawek. Nous pouvions partir aussitôt. Mon père, lui, avait pris la décision de rester seul à Varsovie pour trouver un autre emploi. Il n’était pas question pour lui d’abandonner son travail. Un matin d’automne, nous partîmes tous à l’embarcadère, direction Wroclawek. Le voyage s’effectua en bateau. Celui-ci était bondé de réfugiés qui quittaient Varsovie avec tous leurs biens pour rejoindre leur famille à la campagne. Dès notre arrivée à Wroclawek, après trois jours de voyage pénible, ponctué de nombreuses escales et de va-et-vient de réfugiés, ma mère et ma sœur aînée partirent immédiatement à la recherche de l’employé de mon père qui devait nous montrer le chemin de l’appartement. Bien entendu, nous ne l’avions pas aperçu. Pendant que ma mère et Hedja continuaient leurs recherches, nous attendions, nous les plus petits, dans un hangar à bateaux près de l’embarcadère. Ainsi pendant trois nuits, nous avons dormi tous ensemble sur de la paille humide dans ce hangar désaffecté, balayé en permanence par les courants d’air. Heureusement que c’était l’automne. Au terme du deuxième jour, ma mère dut se rendre à l’évidence : il n’y avait aucune trace de l’employé de mon père dans cette ville. L’escroc avait empoché l’argent avant de disparaître. Qui plus est, en sillonnant Wroclawek de long en large, ma mère avait pris conscience qu’il ne fallait pas espérer trouver de sitôt un appartement à louer. Impossible. La ville était remplie par la foule de réfugiés qui avaient fui Varsovie avant nous. Les quelques rares appartements à louer avaient été pris d’assaut avant notre arrivée. Pour compliquer un peu plus les choses, ma mère ne possédait plus sur elle que le restant des économies rognées par l’avance confortable que mon père avait faite à son ex-employé, ainsi que le prix du voyage assez élevé pour une famille de sept personnes. Autrement dit, il ne restait plus grand-chose à notre arrivée à Wroclawek. Inutile dans ces conditions de chercher dans la ville même. C’est alors que ma mère et ma sœur aînée décidèrent de quitter le centre et de poursuivre leurs investigations plus loin dans la campagne, dans l’espoir de trouver une pièce à louer chez un paysan. Tous les fermiers des environs étaient extrêmement pauvres.
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