AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de mimo26


Après plusieurs heures de marche et d’allers-retours, ma mère finit par rencontrer sur la route un couple de paysans. Après quelques mots échangés et en voyant la ribambelle que nous formions, ils acceptèrent de nous libérer une pièce de leur maison en échange d’un loyer minime. Par un matin d’octobre plutôt frais et brumeux, nous sommes donc arrivés à la ferme avec notre nécessaire, c’est-à-dire les bagages légers que nous portions depuis notre départ : quelques affaires de rechange et des couvertures. La ferme était située à 12 kilomètres de la ville. C’était en fait une fermette tout à fait quelconque. Hormis un petit champ de blé derrière la maison, l’exploitation comprenait un lopin de terre où le paysan cultivait des pommes de terre, des betteraves et des carottes. La plus grande partie de la récolte allait à la coopérative, et le restant (pas grand-chose) était pour lui-même et sa femme. Il avait aussi une ou deux vaches et peut-être un cheval. La maison avait un seul étage et un grenier. Elle était située au bord d’une route. Le paysan nous installa dans une pièce vide au rez-de-chaussée, sans chauffage, avec un plancher de terre battue. De la fenêtre, on voyait la route. Quelques semaines après notre arrivée, l’hiver approchant, il donna à ma mère quelques briques pour que nous puissions faire du feu.

Nous allions rester chez ces paysans trois ans et demi. Trois mois après notre départ, nous apprîmes par une lettre de mon père qu’il avait rendu les clés de notre appartement de Varsovie au concierge. Il avait pu trouver du travail chez un autre fabricant de meubles. Avec l’accord de son patron, il vivait dans un coin de l’atelier où il avait installé un lit de fortune et ses outils personnels. Il vivait là en attendant. Au début de notre séjour à la campagne, nous pouvions compter sur notre pécule pour manger, mais très vite la situation s’aggrava. Nous vivions à l’écart. Nous ne partagions aucun repas avec nos hôtes qui étaient pauvres, hormis l’un d’entre eux qui, à la bonne saison, vendait son blé au marché noir. En fait, il dissimulait une partie de la production normalement destinée à la coopérative, qui prélevait un quota sur chaque fermier. Il fallait moudre ce blé pour pouvoir le vendre ensuite au marché noir. Deux fois par mois, à la belle saison, surtout en été et en automne, il m’emmenait avec lui pour une expédition assez particulière et assez risquée. Nous partions très tôt le matin, vers 3 ou 4 heures, pour aller moudre le blé en cachette dans un moulin isolé non encore réquisitionné. En pleine nuit, le paysan chargeait sur une petite barque quelques provisions pour le voyage et deux gros sacs de blé de 30 kilos. La traversée de la Vistule pour atteindre le moulin durait une bonne heure. Arrivés sur place, mon rôle se limitait à garder la barque sur une berge et à faire le guet en l’absence du paysan. Ce dernier restait parfois trois quarts d’heure au moulin pour moudre son blé. Tapi au fond de cette barque, à moitié endormi et grelottant, je finissais souvent ma nuit sous une peau de chèvre ou de mouton qu’il me donnait pour me réchauffer. Au retour, une fois son affaire terminée, il m’offrait un peu de pain, une pomme ou parfois un bout de saucisson, bref de quoi me remplir l’estomac. Entendons-nous, je ne venais pas pour rien non plus, car le restant de la semaine c’était la misère absolue. Cette pauvreté était si présente qu’il m’est arrivé plusieurs fois vers 6 ans de partir tout seul jusqu’à la ville pour faire la manche dans les rues de Wroclawek devant les magasins. Jamais ma mère et mes sœurs ne l’ont su. J’avais très peur et j’avais honte aussi, mais la faim… il fallait que je fasse quelque chose… D’ailleurs, personne n’était là pour contrôler mes allées et venues. Je me débrouillais comme je pouvais. Le reste du temps, je gambadais seul dans la campagne ou je restais jouer à la ferme. À cette époque, je craignais plus la faim que les soldats allemands.
Commenter  J’apprécie          00









{* *}