Remigiusz Ryzinski

Aujourd’hui je vais évoquer Foucault à Varsovie enquête compliquée de Remigiusz Ryziński. L’auteur est polonais et il a souhaité comprendre pourquoi le philosophe français Michel Foucault n’a passé qu’un an à Varsovie alors qu’il avait été nommé directeur du centre de civilisation française. Son départ brutal, peu documenté, pose question et interroge.

Remigiusz Ryziński a procédé tel un détective à la recherche des archives et des témoignages ; il a lu des centaines de pages de dossiers policiers (il explique comment il a entraperçu des bribes directement liées à son personnage) et sollicité ceux qui avaient pu le croiser. Le récit est passionnant malgré les frustrations récurrentes. En effet, le régime communiste de l’époque, les faits investigués se déroulent en 1958-1959, était réputé pour suivre à la trace les étrangers et documenter leurs faits et gestes. Malgré sa perspicacité et sa persévérance l'auteur ne trouve pas beaucoup de traces policières du passage de Foucault à Varsovie. Cette enquête a pour fil rouge Foucault mais c’est aussi (surtout) une plongée dans la vie homosexuelle polonaise de la fin des années 1950. Michel Foucault était homosexuel (il mourra en 1982 du sida) et à ce titre semble avoir constitué une menace aux yeux du pouvoir politique. Avant Varsovie, il était en poste en Suède et c’est en Pologne qu’il va terminer la rédaction de sa thèse Histoire de la folie à l’âge classique. Son poste de directeur était bien rémunéré en zlotys et lui garantissait un bon niveau de vie. Il pouvait séduire les garçons qui lui plaisaient et pour certains peut-être les entretenir. Ces garçons sont les héros discrets et clandestins de Foucault à Varsovie. La thèse de l’auteur est que l’expulsion de Foucault est probablement liée à ses mœurs. Mais les preuves demeurent difficiles à trouver malgré les recherches dans les différentes archives disponibles. De plus l’auteur d’Histoire de la sexualité a relativement peu évoqué cette période dans ses écrits. Remigiusz Ryziński a notamment rencontré Daniel Defert (fondateur d’Aides et compagnon de Foucault) lors d’un entretien utile et passionnant. Il a également réalisé des interviews avec des garçons dont il donne le prénom et qui faisaient partie de la communauté homosexuelle d’alors. Avec Foucault à Varsovie le lecteur est convié à une plongée dans le milieu gay de Varsovie, avec les saunas, les bars, les squares et les pissotières. La géographie des lieux est précise et documentée, les protagonistes sont identifiés même s’il est compliqué de rencontrer ceux qui ont directement fréquenté Foucault. Il est à la fois question de sentiments et de tarification de prestations sexuelles. Plusieurs décennies ont passé, mais le fichage systématique des « déviants » était encore d’actualité dans les années 1980-1990 comme c’est raconté. Force est de comprendre que les services secrets s’intéressaient à Foucault et que des garçons, un en particulier, étaient en service commandé pour séduire l’intellectuel français et rapporter des témoignages compromettant aux autorités. Ceci a dû motiver le renvoi du directeur quelques mois après sa prise de fonction. Ce récit est également une immersion dans le milieu culturel polonais (des écrivains sont des homosexuels notoires), dans la diplomatie avec l’ambassadeur de France Burin des Roziers et aussi dans la vie intellectuelle française (Barthes notamment).

Foucault à Varsovie est une enquête littéraire et personnelle passionnante. Remigiusz Ryziński cherche à la fois à comprendre la raison de la brièveté du passage de Foucault dans son pays et à dresser un portrait social précis de la situation des homosexuels polonais au cours du vingtième siècle. Son intérêt et sa connaissance de l’œuvre de Foucault sont perceptibles et il éclaire un moment de la vie de l’auteur de Surveiller et punir mal connu.

Voilà, je vous ai donc parlé de Foucault à Varsovie de Remigiusz Ryziński paru aux éditions Globe.
Lien : http://culture-tout-azimut.o..

En s’appuyant sur le séjour d’un an de Michel Foucault à Varsovie, l’auteur aborde la question de l’homosexualité en Pologne. En effet, en 1958, Foucault a été nommé directeur du Centre de civilisation française de l’université de Varsovie. Il y terminera sa thèse intitulée « Histoire de la folie » dont quelques citations sont mises en exergue dans ce livre. Il ne restera qu’un an car on lui demandera de quitter le pays. La raison officielle étant « une conduite immorale ».

Foucault était homosexuel et « dérangeait ». Pourtant, d’autres hommes, dont Cocteau, l’était également et ne posait pas problème. Alors pourquoi lui, contrairement aux autres, était un souci ?

Mais revenons à ce séjour polonais. Lorsqu’il a voulu écrire ce livre, Remigiusz Ryziński a fait des recherches et il s’est heurté à un mur. Comme si Foucault n’était jamais venu, aucune trace, pas de photos, rien dans les archives. Avait-on voulu l’effacer, le faire disparaître ? Pourtant il savait qu’il y avait des documents. Alors, il a rusé (je laisse les futurs lecteurs découvrir comment) et a eu accès à quelques écrits parlant de cette année.

Des dossiers (des années 60) sont apparus, une période où les homosexuels étaient fichés, suivis à la trace. À partir de ce moment-là, ils ont « existé » et …. certains ne souhaitaient pas leur présence.

« Exactement, comme dans la théorie de Foucault : seule la chose décrite existe pleinement. »

Foucault était un homme bon, agréable, à l’écoute des autres. Facile à vivre et plaisant, essayant de ne pas faire parler de lui. D’ailleurs, peu de ceux qui l’ont connu, témoignent de ce qu’ils ont vécu ensemble ou de son passage. Foucault sert de fil conducteur à ce livre mais bien d’autres sujets sont abordés. C’est tout le cheminement pour faire accepter l’homosexualité qui est présenté. Obligés de se cacher dans des toilettes, se sachant surveillés, suivis à la trace, les gays (on ne parle que du côté hommes dans ce recueil) se faisaient oublier pour se noyer au milieu des autres. Mais quelle route difficile ! Vers 1980 (soit vingt ans après Foucault), l’opération Jacinthe (Hyacinthe) a été menée pour créer une base de données sur les « homos ». Quelle horreur ! Comment de tels écrits peuvent-ils exister ? Bien sûr, on ne les retrouve pas…. Bizarre non ?

J’ai trouvé ce livre très intéressant et édifiant, voire fascinant. L’écriture (merci à la traductrice) est précise, prenante. Chaque fait est bien situé dans l’époque, le contexte. On relie les différents événements pour avoir une approche sociétale du quotidien de l’époque. Avec le peu qu’il a obtenu comme renseignements, l’auteur émet des hypothèses, recoupe ce qu’il a appris, essaie d’avancer dans la connaissance des liens, des relations que ces hommes entretenaient.

Le gouvernement était plus que dur avec ces hommes. Avec quelques indices, quelques conversations, Remigiusz Ryziński construit un livre avec des bases solides, sur lesquelles il s’appuie pour extrapoler ce qu’il ne sait pas. C’est très bien fait et surtout captivant.


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Ce riche travail d’enquête lui permet surtout de restituer la vie de la communauté homosexuelle de Varsovie à la fin des années 1950, dont l’intrépidité, la drôlerie, l’art de se glisser dans les ­interstices d’une société de ­contrôle lui valent des pages ­irrésistibles de vitalité.
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