René Escaich

... l'Affaire Dreyfus a été « racontée avant qu'elle se produise! » En effet, à partir du 23 avril 1894 « Le Petit Journal » publie, en feuilleton, un roman de Louis Létang, « Les deux frères ». Un capitaine du génie, attaché au ministère de la Guerre, est fiancé à une riche héritière également convoitée par un jeune désœuvré. Ce dernier parvient, avec l'aide de son oncle, à voler, au ministère de la Guerre, dans le bureau du colonel qui a sous ses ordres le jeune officier, une liasse de documents confidentiels. Le lendemain le colonel reçoit une lettre anonyme l'informant qu'il y a depuis peu de temps, un traître dans son service. Il soustrait des documents pour en adresser des copies à un service allemand de renseignements. Une perquisition est effectuée chez le capitaine où est découverte une lettre adressée à M. Franz Merz, « annonçant l'envoi des documents promis : ils sont des plus importants. »
Bien entendu l'écriture du capitaine a été imitée à la perfection. Le malheureux est arrêté et écroué à la prison du Cherche-Midi. Son arrestation doit rester secrète. Mais ceux qui sont acharné à sa perte en informent le journal le « Vigilant » qui annonce en grand manchette : « Le sandale au ministère de la Guerre! La trahison d'un officier français ! Terrible révélation ! » La publication de ce feuilleton prend fin le 30 juillet : le chapitre relatif à la perquisition chez le capitaine et à la découverte de la lettre d'envoi se trouve dans les numéros du 25 et 30 juin.
Ainsi un romancier a décrit par avance des faits qui vont se produire quelques mois plus tard ! Dans quelle mesure la lecture de ce feuilleton n'a-t-elle pas eu d'influence sur certains des personnages de ce drame, sur Schwartzkoppen, sur du Paty du Clam, concernant l'épisode de la dictée qui est raconté dans ce roman ?

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