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Citation de Partemps


ESQUISSE AUTOBIOGRAPHIQUE
(1813-1842)

Je me nomme Guillaume-Richard Wagner, et je suis né le 22 mai 1813 à Leipzig. Mon père était greffier de la police et mourut six mois après ma naissance. Mon beau-père, Ludwig Geyer, était acteur et peintre ; il a écrit aussi quelques comédies, parmi lesquelles celle intitulée le Massacre des Innocents eut du succès ; avec lui ma famille se retira à Dresde. Il voulait que je devinsse peintre ; mais j’étais très maladroit au dessin. Mon beau-père, lui aussi, mourut de bonne heure....., je n’avais que sept ans. Peu de temps avant sa mort, j’avais appris à jouer au piano Sois toujours loyal et fidèle, et la Couronne virginale, alors dans toute sa fraîcheur : la veille de sa mort, je dus lui jouer les deux morceaux dans la pièce voisine ; je l’entendis alors dire à ma mère d’une voix faible : « Aurait-il par hasard des dispositions pour la musique ? » Le lendemain, de bon matin, comme il était mort, notre mère entra dans la chambre des enfants, dit quelques mots à chacun de nous et m’adressa ces paroles : « Il voulait faire quelque chose de toi. » J’ai ressouvenir de m’être longtemps imaginé que je ferais quelque chose.

À neuf ans, j’entrai à la Kreuzschule de Dresde ; j’allais faire mes études ; de musique il n’était pas question ; deux de mes sœurs apprenaient à bien jouer du piano, et je les écoutais, sans recevoir moi-même d’instruction instrumentale. Rien ne me plaisait autant que le Freischütz : souvent je vis Weber passer devant chez nous, quand il revenait des répétitions ; je le considérai toujours avec un effroi sacré. Un répétiteur à domicile, qui m’expliquait Cornélius Népos, dut finir par me donner aussi des leçons de piano ; à peine eus-je dépassé les premiers exercices des doigts, que j’appris secrètement pour mon compte, sans partition tout d’abord, l’ouverture du Freischütz ; mon professeur entendit un jour la chose et dit qu’on ne ferait rien de moi. Il avait raison : je n’ai de ma vie appris à jouer du piano.

À cette époque je ne jouais encore que pour moi : les ouvertures étaient mon fort, et j’y employais les plus épouvantables doigtés. Il m’était impossible de jouer une gamme proprement, aussi j’en conçus pour tout ce qui était trait une grande aversion. De Mozart je n’aimais que l’ouverture de la Flûte enchantée ; Don Juan me déplaisait pour être écrit sur un texte italien, et qui me semblait si fade.

Mais ces occupations musicales n’étaient que fort accessoires : le grec, le latin, la mythologie, l’histoire ancienne, étaient l’essentiel. Je faisais aussi des vers. Un de nos camarades vint à mourir, et nos maîtres nous imposèrent la tâche d’écrire une poésie sur sa mort ; la meilleure devait être imprimée....., ce fut la mienne, mais seulement après que j’en eus fait disparaître l’excessive enflure. En ce temps-là j’avais onze ans. Je voulus alors être poète : j’ébauchai des drames d’après le type grec, poussé par la connaissance que je fis des tragédies d’Apel[1], Polyidos, les Étoliens, etc. ; je passais d’ailleurs dans le collège pour une forte tête en littérature : en troisième j’avais déjà traduit les douze premiers livres de l’Odyssée. Un beau jour j’appris aussi l’anglais, simplement, à vrai dire, pour connaître Shakespeare bien à fond : je traduisis, en imitant le mètre, le monologue de Roméo. L’anglais bientôt fut aussi délaissé ; mais Shakespeare resta mon modèle ; je projetai un grand drame, à peu près composé d’Hamlet et du Roi Lear ; le plan était extrêmement grandiose : quarante-deux personnages mouraient au cours de la pièce, et je me vis forcé, au moment de la réalisation, de faire réapparaître la plupart d’entre eux sous forme de fantômes, sans quoi, dans les derniers actes, il ne restait plus personne. Cette pièce m’occupa pendant deux ans. Là-dessus je quittai Dresde et la Kreuzschule, et je vins à Leipzig. Dans cette ville on me mit en troisième au collège Nicolaï, alors qu’à Dresde j’avais déjà pris place sur les bancs de la classe de seconde ; cette circonstance m’exaspéra si fort, que désormais toute ardeur pour les études philologiques m’abandonna. Je devins paresseux et négligent ; seul, mon grand drame me tenait encore au cœur. Pendant que je l’achevais, j’apprenais pour la première fois à connaître la musique de Beethoven dans les concerts de la Halle aux Draps (Gewandhaus) de Leipzig ; son impression sur moi fut toute-puissante. Je me familiarisai aussi avec Mozart, surtout avec son Requiem. La musique de Beethoven pour Egmont m’enthousiasma tellement, que pour tout au monde je n’aurais laissé mon drame, cette fois terminé, sortir du chantier autrement que muni d’une musique de ce genre. Je me crus capable, sans plus de réflexion, d’écrire moi-même cette musique si indispensable ; pourtant je trouvai bon de me mettre d’abord au courant de quelques règles essentielles de la basse générale[2]. Afin de faire la chose à la volée, j’empruntai pour huit jours la méthode de basse générale de Logier[3] et je l’étudiai avec ardeur. Mais cette étude ne porta pas des fruits aussi rapides que je l’avais pensé ; les difficultés qu’elle présentait me stimulèrent et m’attachèrent ; je résolus de devenir musicien.

Cependant mon grand drame avait été découvert par ma famille : elle tomba dans une vive affliction, car il fut manifeste que pour

cela j’avais radicalement, négligé mes études classiques, et je n’en fus que plus rigoureusement tenu de les poursuivre avec assiduité. Dans de telles circonstances, je gardai pour moi l’intime conviction que j’avais acquise de ma vocation musicale, mais je n’en composai pas moins, dans le plus grand secret, une sonate, un quatuor et un air. Quand je me sentis suffisamment avancé dans mes études musicales personnelles, je m’enhardis enfin à les révéler. Naturellement j’eus alors de rudes assauts à soutenir, étant donné que les miens devaient regarder mon penchant pour la musique comme un simple caprice, d’autant plus qu’il n’était justifié par aucune étude préalable, et surtout par aucune habileté déjà quelque peu acquise sur un instrument.

J’étais alors dans ma seizième année, et porté, principalement par la lecture d’Hoffmann, au mysticisme le plus extravagant : pendant le jour, en un demi-sommeil, j’avais des visions, dans lesquelles la Fondamentale, la Tierce et la Quinte m’apparaissaient en personne, et me dévoilaient leur importante signification : les notes que je rédigeais là-dessus étaient un tissu d’absurdités. On me fit enfin donner des leçons par un bon musicien : le pauvre homme eut grand mal avec moi ; il dut m’expliquer que ce que je prenais pour des êtres surnaturels et des puissances étranges était des intervalles et des accords. Que pouvait-il y avoir de plus affligeant pour les miens, sinon d’apprendre que dans cette étude même je me montrais négligent et irrégulier ? Mon professeur secouait la tête, et les choses se passaient en apparence comme si, même en cette matière, on ne pouvait tirer de moi rien de bon. Mon goût pour l’étude faiblit de plus en plus ; je préférais composer des ouvertures pour grand orchestre, dont l’une fut jouée un jour au théâtre de Leipzig. Cette ouverture fut le point culminant de mes absurdités : pour mieux aider à l’intelligence de la partition, j’avais eu positivement l’idée de l’écrire avec trois encres ditrérentes, les cordes en rouge, les bois en vert, les cuivres en noir. La neuvième symphonie de Beethoven semblerait une sonate de Pleyel auprès de cette ouverture aux combinaisons étonnantes. À l’exécution, ce qui surtout me fit du tort fut un roulement de timbales fortissimo, lequel revenait régulièrement toutes les quatre mesures, tout le long du morceau : la surprise qu’éprouva d’abord le public devant l’entêtement du timbalier se changea en une mauvaise humeur non dissimulée, puis en une gaieté qui m’affligea fort. Cette première exécution d’un morceau par moi composé me laissa sous le coup d’une vive impression.
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