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Citation de Misslaura


Extrait du prologue

Tylee Khirgan, Lieutenant-Général de l’armée toujours victorieuse, était en selle au sommet d’une colline boisée, regardant au nord. Ce pays était si différent. Sa terre natale, Maram Kashor, était une île aride à la pointe sud-est du continent Seanchan. Les arbres lumma y étaient droits, monstrueuses tours, avec des feuilles pennées naissant à leur sommet telle la crête de cheveux d’un membre du Haut-Sang.
Les choses qui passaient pour des arbres dans ce pays étaient noueux en comparaison, tordus, se ramifiant en arbustes. Leurs branches étaient comme les doigts d’un vieux soldat atteints d’arthrite après des années à tenir l’épée. Comment les gens du pays appelaient ces plantes ? Des arbres de broussailles ? Tellement bizarre. À y penser certains de ses ancêtres pourraient avoir été originaires de cet endroit, voyageant avec Luthair Paendrag vers le territoire Seanchan.
En contrebas, son armée descendait la route en soulevant de la poussière. Des milliers et des milliers d’hommes. Moins qu’elle n’en avait déjà commandé, mais pas de tant que ça. Deux semaines s’étaient écoulées depuis son combat avec les Aiels, où le plan de Perrin avait fonctionné à merveille. Combattre aux côtés d’un homme comme lui était toujours une expérience douce-amère. Douce pour le génie pur qu’il en ressortait. Amère pour l’inquiétude qu’un jour, ils se feraient face sur le champ de bataille. Tylee n’était pas du genre à apprécier un défi au combat. Elle avait toujours préféré la victoire directe.
Certains généraux ont dit que ne jamais se retrouver en difficulté signifiait ne jamais être forcé de s’améliorer. Tylee se disait qu’elle et ses hommes travailleraient à leur amélioration sur le champ d’entraînement, laissant leurs ennemis surmonter les difficultés.
Elle n’aimerait pas faire face à Perrin. Pas du tout. Et pas seulement parce qu’elle l’aimait.
Un pas lent de sabots résonna sur la terre. Jetant un regard de côté, elle vit Mishima monté sur un hongre pâle, s’approchant du sien. Son casque était suspendu à la selle, et son visage balafré était pensif. Ils formaient la paire, à eux deux. Le visage de Tylee portait sa propre part de cicatrices.
Mishima la salua, plus respectueux maintenant que Tylee avait été élévée au Sang. Ce message particulier, délivré par raken, avait été inattendu. C’était un honneur, auquel elle ne s’était pas encore habituée.
« Encore à ruminer la bataille ? » demanda Mishima.
« Oui, » Répondit-elle. Deux semaines, et ça occupait encore toutes ses pensées. « Qu’en pensez-vous ? »
« De Aybara, vous voulez dire ? » demanda Mishima. Il continuait de lui parler comme à un ami, même s’il évitait de rencontrer ses yeux. « C’est un bon soldat. Peut-être trop concentré, trop entraîné. Mais solide. »
« Oui, » déclara Tylee, puis elle secoua la tête. « Le monde est en train de changer, Mishima. D’une manière que nous ne pouvons pas anticiper. D’abord Aybara, et puis les bizarreries. »
Mishima hocha pensivement la tête. « Les hommes ne veulent pas aborder le sujet. »
« Ce qui se passe est trop récurrent pour que l’on puisse parler d’illusions, » dit Tylee. « Les éclaireurs voient quelque chose. »
« Les hommes ne disparaissent pas, » dit Mishima. « Vous pensez que c’est le Pouvoir Unique ? »
« Je ne sais pas ce que c’est, » dit-elle. Elle regarda les arbres autour d’elle. Un peu plus tôt, elle en avait vu plusieurs qui donnaient des signes de croissance printanière, mais aucun de ceux-là. Ils étaient squelettiques, bien que l’air fût assez chaud pour que ce soit déjà la saison des semis. « Est-ce qu’ils ont de tels arbres à Halamak ? »
« Pas exactement comme eux, » dit Mishima. « Mais j’en ai déjà vu de semblables. »
« Auraient-ils dû bourgeonner maintenant ? »
Il haussa les épaules. « Je suis un soldat, General Tylee. »
« Je n’avais pas remarqué, » dit-elle sèchement.
Il grogna. « Je veux dire que je ne porte pas d’attention aux arbres. Les arbres ne saignent pas. Peut-être qu’ils auraient dû bourgeonner, peut-être pas. Peu de choses semblent logiques de ce côté de l’océan. Les arbres qui ne bourgeonnent pas au printemps, c’est juste une autre bizarrerie. Mieux vaut ça que plus de marath’damanes agissant comme si elles étaient du Sang, avec tout le monde leur faisant des courbettes. » Il haussa visiblement les épaules.
Tylee hocha la tête, mais elle ne partageait pas sa révulsion. Pas vraiment. Elle n’était pas certaine quoi penser de Perrin Aybara et de ses Aes Sedai, sans parler de ses Asha’man. Et elle n’en savait pas plus que Mishima sur les arbres. Mais elle pressentait qu’ils auraient dû commencer à germer. Et ces hommes que les éclaireurs continuaient de voir dans les champs, comment pouvaient-ils disparaitre si rapidement, même avec le Pouvoir Unique ?
Aujourd’hui le quartier-maître avait ouvert un de leurs paquets contenant les rations de voyage et n’avait trouvé que de la poussière. Tylee aurait fait rechercher un voleur ou un farceur si le quartier-maître n’avait pas insisté sur le fait qu’il avait ouvert le paquet peu de temps auparavant. Karm était un homme solide ; son quartier-maître depuis des années. Il ne faisait pas d’erreur.
La nourriture qui se décompose était si habituel ici. Karm blâma la chaleur de cet étrange pays. Mais les rations de voyage ne pouvaient pas pourrir ou se gâter, du moins pas de manière si imprévisible. Les signes étaient tous mauvais, ces jours-ci. Un peu plus tôt aujourd’hui elle avait vu deux rats morts sur le dos, avec la queue de l’un dans la bouche de l’autre. C’était le plus mauvais présage qu’elle avait vu de sa vie, et elle frissonnait rien qu’à y penser.
Quelque chose se passait. Perrin n’avait pas voulu beaucoup en parler, mais elle a vu que cela pesait sur ses épaules. Il en savait plus que ce qu’il n’avait dit.
On ne peut pas se permettre de se battre contre eux, pensa-t-elle. C’était une pensée séditieuse, qu’elle ne partagerait pas avec Mishima. Elle n’osait pas pousser la réflexion. L’impératrice, puisse-t-elle vivre à jamais, avait ordonné que ce pays soit récupéré. Suroth et Galgan étaient les dirigeants élus dans cette entreprise, jusqu’à ce que la Fille des Neuf Lunes se révèle. Bien que Tylee ne puisse pas connaître les pensées de la Haute Dame Tuon, Suroth et Galgan étaient unis dans leur désir de voir ce pays conquis. C’était pratiquement la seule chose sur laquelle ils s’accordaient.
Aucun d’eux ne se laisserait suggérer de rechercher des alliés parmi les peuples de ce pays, plutôt que des ennemis. Y penser était proche de la trahison. De l’insubordination, au minimum. Elle soupira et se tourna vers Mishima, prête à envoyer des éclaireurs à la recherche d’un endroit où passer la nuit.
Elle se figea. Mishima avait une flèche en travers du cou, quelque chose de méchant et d’acéré. Elle n’avait pas entendu l’impact. Il rencontra ses yeux, sidéré, essayant de parler mais seul du sang s’échappait de sa bouche. Il glissa de sa selle et s’effondra comme une masse lorsque quelque chose d’énorme chargea à travers les broussailles à proximité de Tylee, brisant les branches noueuses, se jetant sur elle. Elle eut à peine le temps de dégainer et de crier avant que Duster—un bon et solide cheval de guerre qui ne lui avait jamais fait défaut au combat—ne se cabre dans la panique, la projetant au sol.
Ce qui lui sauva probablement la vie, car son attaquant balança son épée à la lame épaisse, entaillant la selle où Tylee s’était trouvée. Elle sauta sur ses pieds, son armure cliquetant, et cria l’alerte. « Aux armes ! Une attaque ! »
Sa voix se joignit à des centaines d’autres qui faisaient virtuellement l’appel au même moment. Les chevaux hennissaient.
Une embuscade, pensa-t-elle, levant sa lame. Et nous sommes entrés en plein dedans ! Où sont les éclaireurs ? Que s’est-il passé ? Elle se lança sur l’homme qui avait tenté de la tuer. Il se retourna, reniflant.
C’est seulement alors qu’elle vit ce qu’il était. Pas tout à fait un homme—mais à la place, une créature aux traits déformés, la tête couverte de cheveux bruns drus, la peau épaisse qui plissait sur un front trop large. Ces yeux trop humains étaient troublants, mais au dessous le nez était aplati comme celui d’un sanglier et de la bouche proéminente saillaient deux défenses. La créature rugit, ses lèvres presque humaines projetant de la bave.
Sang de mes Pères Oubliés, pensa-t-elle. Dans quoi sommes-nous tombés ? Le monstre était un cauchemar fait chair, abandonné à l’errance dans le seul but de tuer. C’était une chose qu’elle avait toujours reléguée au rang des superstitions.
Elle chargea la créature, repoussant le coup qu’il essaya de porter de sa large épée. Elle se retourna, se fendant en Battre-les-Arbustes, et sépara le bras de l’épaule de la bête. Elle frappa encore, et libéra sa tête qui suivit le bras au sol. Cela tituba, fit quelque chose comme trois pas, puis s’effondra.
Les arbres bruissaient, davantage de branches craquaient. Juste au bas du versant où elle se trouvait, Tylee vit des centaines de ces créatures qui émergeaient des sous-bois, attaquant ses lignes pratiquement au milieu, provoquant le chaos. De plus en plus de monstres affluaient entre les arbres.
Comment était-ce arrivé ? Comment ces choses s’étaient-elles autant rapprochées d’Ebou Dar ! Elles se trouvaient profondément à l’intérieur du périmètre défensif Seanchan, à seulement un jour de marche de la capitale.
Tylee dévala le flanc de colline en chargeant, hurlant au ralliement de sa garde d’honneur alors que d’autres bêtes rugissaient en sortant des arbres derrière elle.
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