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Citation de LaForceduTemps


(Lettre à Alphonse Darlu, son professeur de philosophie, 2 octobre 1888)

Quand j’ai commencé, à peu près à quatorze ou quinze ans, à me replier sur moi-même et à étudier ma vie intérieure cela n’a pas été une souffrance, au contraire.
Plus tard, vers seize ans, cela est devenu intolérable, surtout physiquement, j’en ressentais une fatigue extrême, une sorte d’obsession. Maintenant, cela n’a plus du tout ce caractère.
Ma santé, autrefois très faible, étant devenue presque bonne, j’ai pu réagir contre l’épuisement et le désespoir que cause ce dédoublement constant.
Mais ma souffrance pour avoir changé presque entièrement de caractère n’en est pas moins vive. Elle s’est intellectualisée. Je ne peux plus trouver de plaisir complet à ce qui autrefois était ma joie suprême, les œuvres littéraires.
Quand je lis par exemple un poème de Leconte de Lisle, tandis que j’y goûte les voluptés infinies d’autrefois, l’autre moi me considère, s’amuse à considérer les causes de mon plaisir, les voit dans un certain rapport entre moi et l’œuvre, par là détruit la certitude la beauté propre de l’œuvre, surtout imagine des conditions de beauté opposées, tue enfin presque tout mon plaisir.
Littérairement je ne peux plus rien juger depuis plus d’un an, je suis dévoré du besoin d’avoir des règles fixes d’après lesquelles je puisse juger avec certitude les œuvres d’art. Mais alors, pour me guérir, je ne puis qu’anéantir ma vie intérieure, ou plutôt ce regard sans cesse ouvert sur ma vie intérieure, et ceci me paraît effroyable. C’est certainement « un cas » qui doit se présenter fréquemment chez les jeunes gens de mon âge, et que des souffrances physiques ont habitué autrefois à vivre beaucoup avec eux-mêmes.
(Lettre à Alphonse Darlu, son professeur de philosophie, 2 octobre 1888)
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