Où est passée la Laurentie iroquoienne? Entretien avec Roland Viau
À l'exception des Cinq Nations iroquoises, tous les autres groupes qui, à l'époque du contact avec les Européens, formaient la famille linguistique iroquoienne du nord-est de l'Amérique du Nord seront systématiquement désarticulés entre les années 1650 et 1675. Tour à tour s'effondreront ou seront partiellement absorbés par les Iroquois, les Wenros, les Hurons, les Pétuns, les Neutres, les Ériés et les Susquehannocks.
À son avis, l'enlèvement de Donnacona et de ses proches lors du deuxième voyage de Cartier avait durablement compromis les relations entre Français et Stadaconiens, funestement assombri leurs rapports et modelé la vision que les natifs devaient entretenir à propos de ces étrangers. Perçu comme un affront et subi comme une humiliation, l'acte de traîtrise ourdi par Cartier, couplé aux mésententes survenues entre les deux partis, Amérindiens et Européens, lors de l'expédition de colonisation menée par Roberval, aurait eu des conséquences désastreuses. D'après Carleill, les Français avaient fait preuve d'un comportement inacceptable envers les Amérindiens, s'étaient aliéné l'ensemble de la Laurentie iroquoienne et avaient eu à faire face à la profonde antipathie des Stadaconiens. Ce qui aura donc été le principal point de tension, la cause première de l'inimitié de ses communautés, du départ brusque de Cartier et de l'abandon par Roberval d'une colonie créée et maintenue à la force des armes.
À l'été 1542, des Iroquoiens du Saint-Laurent, montés à bord d'un galion qui mouillait dans le golfe à Blanc-Sablon, ont révélé aux pêcheurs basques de Fuenterrabia (Espagne) avoir attaqué les compagnons de Cartier avec des lances et des arcs. Durant le repas, un des leurs, en l'occurence le meneur Agona, «qui commandait à Canada», se serait même vanté d'avoir tué avec ses hommes plus de 35 Français. Si cet évènement a bel et bien eu lieu et été fatal à de nombreux colons, il ne saurait être relégué au rang de simple escarmouche. En tablant sur cette donnée chiffrée, on est ainsi amené à penser qu'au moins un incident majeur est survenu au cap Rouge et que l'expédition de Cartier n'a pas eu une issue heureuse. Les Français auraient été pris de court par les Stadaconiens surgis à l'improviste, seraient sortis perdants d'au moins un échange violent avec leurs voisins et auraient été contraints de quitter les lieux en toute hâte. Aussi peut-on vraisemblablement conjecturer que les Stadaconiens ont incendié une première fois les installations érigées en 1541 et abandonnées par suite d'une attaque meurtrière plutôt que d'assauts répétés.
Durant l'été de 1634, une épidémie dévastatrice - possiblement la rougeole ou une quelconque maladie infantile d'origine européenne -, coïncidant avec l'arrivée de bateaux en provenance de la France, frappera la vallée du Saint-Laurent puis s'étendra à l'Outaouais pour atteindre finalement la Huronie. On estime que la mortalité attribuable aux épidémies pour les années 1616-1619 et 1633-1639 aurait réduit de 86% la population amérindienne.