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Citation de LiliGalipette


Chaque matin, peu après le lever du jour, Lise et moi accompagnions Antoine sur les différents points rouges de sa carte. Pliée à l’infini, elle tenait dans la poche arrière de son jean délavé. Pendant qu’il peignait, nous nous promenions dans les environs avant de le retrouver en fin de matinée pour déjeuner ensemble. A la vitesse du marcheur – la seule qui permet de bien digérer de la consistance du monde – tout notre corps éprouvait la topographie enchanteresse que le peintre avait, lui, sous les yeux. Nous
nous étendions sous la frondaison des tamaris dont il se servait pourdisposer, ici ou là, des taches d’un mauve solaire. Nous nous baignions dans l’eau tiède de la mer qu’il résumait à de vastes aplats de peinture bleue. Nous arpentions des sentiers caillouteux tout en sachant qu’ils se transformeraient, sur la toile, en des lignes sinueuses tracées
par son plus fin pinceau et desquelles nous aurions pu tomber. En fin d’après-midi, comme les alpinistes dans un refuge retracent sur une carte les endroits par où ils sont passés, le récit de notre journée s’appuyait sur le tableau, souvent inachevé, qu’Antoine nous montrait. En restant dans le champ de la figuration, ses compositions étaient influencées par les artistes qu’Antoine admirait. Outre un emploi de la couleur pure qui venait tout droit des oeuvres d’Henri Matisse, il y avait, ici ou là, des aplats à la Gauguin, des touches virevoltantes inspirées par Van Gogh. La mémoire de ce qu’il avait vu connotait la sensation de ce qu’il voyait. Sans la faire disparaître, sa culture picturale se superposait à la Nature. Elle la faisait exister vraiment. Les oeuvres qu’Antoine avait réalisées pendant notre séjour ne représentaient pas servilement le paysage mais exprimaient l’âme de leur auteur. Si des arbres, des chemins et des murs apparaissaient à la surface de ses toiles, il ne fallait être dupe de rien, ce n’était là que les détails d’un portrait, le sien. La distinction entre l’artiste et la nature était vaine. Il
était le monde qu’il voyait. Chaque soir, l’impression fantastique d’avoir passé la journée dans un tableau, nous persuadait que la qualité d’un voyage se mesure beaucoup moins aux nombres de kilomètres parcourus qu’à l’intensité des instants vécus.
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