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Citation de Tandarica


Romulus Vulpescu
Tapis enchanté
*
Sur la trace du désert parsemée de débris,
M’avait accueilli un marchand de tapis ;
À la borne de halte érigée en pagaille
Il avait déchargé son frusquin – de pénaille :
Boukharas verts, Tébrises écarlats –
Rabais et soldes des tant de califats
Là où le sable a consenti son trêve ;
Lucide, vers morgana, ma bleue oasis du rêve,
Je vacillais entre d’atroces choix…
Mais au sourire oriental – mielleuse voix –
Il m’étala une relique grise de Ghase.
Candide, ne méfiant d’aucune hypostase
Dupé par sa misère creuse et flagrante,
Fus arrêté du chemin par les courbettes tentantes ;
Sordide ce négoce, ignobles ces tapis !
En débutant le marchandage compris,
Compatissant, aux politesses du Couchant,
J’ai tout traité déteint et nonchalant,
Et fus persuadé par le roué loufoque
De lui acheter un Mossoul, une loque
(Et même prétendait-il, sans trop de hontes
Que ce serait l’ tapis volant des contes !),
Vers le coucher j’étais déjà séduit ;
En l’empoignant, trophée décrépit,
J’avais choisi le plus caché endroit
Pour m’en couvrir comme si c’était un toit.
Entre les dunes s’étant logé un froid méchant
J’ai entendu le vieil tissu en me parlant :
« Pareils à toi, le soir emmaillotés,
Cortèges de voyageurs y sont passé
Depuis qu’un siècle un autre siècle le suit,
Ici, dans le désert, se trouve l’abri
De ce trompeur, vendeur exquis :
Que de rêveurs n’a-t-il roulé dans ses tapis !
Rappelle-toi ses yeux aussi que son râble :
Car il a vu comment naquit le sable
Que sasse depuis entre ses doigts, afin qu’il sache
Le sablier de l’éternel toujours en marche.
Mauvais vents soufflent, des crépuscules baissent,
Les âges broient les troncs purs des cyprès,
L’océan sèche, bouté hors de ce monde,
Il tient à tous ces morts leur compte,
En épiant au grandes routes des déserts malsains
Aux Brousses en lambeaux, Shirazes incertains,
Tant de générations leurs ont marché dessus
Rentrées depuis dans le rien confus
Enregistrant toujours, assidûment
Tout ce qui vit et passe au néant,
T’espères encore, ton âme de reclus,
Mais le corps éparpillé n’existe plus :
Déjà bluté par ma trame effilée
Un coup aigu de vent l’avait porté
Vers les oasis aux féconds auspices
Pour ensevelir la feuille dans les silices.
Le sable où ta chair fut transformée
Un brin seulement de ma fibre fanée
Quand le matin seras désert lointain
Et l’envol du vent te portera soudain
Sur longue, l’infinie voie de la mort,
Comme le rêvé tapis des contes,
Moi, brossé, sinistre, aux attentes
Quelqu’un d’autre je guettai à qu’il me vende
Sur la trace du désert, aux ossements
L’éternel marchand qui toujours ment.”
(1963)
*
traduit du roumain par Tudor Mirică
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