Contre toute attente, j’allais peut-être passer une nuit normale.J’étais là à rêver éveillé quand, tout essoufflé, le Baron surgit. Adieu, veaux, vaches, cochons.
On gérait une banque, un comptoir, un magasin, mais on ne gérait pas des émotions. On les vivait, on les ressentait, point!
Pour sûr, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’idée, mais tout de même!
Dire que Michèle et moi vécûmes trois semaines d’enfer est un euphémisme. En fait, c’était comme si nous avions réinventé l’expression cauchemar éveillé. Nous avions vécu un cauchemar aussi dense, aussi noir et aussi long qu’une nuit polaire sans étoile.
Mes parents, ne nous en déplaise, n’avaient pas le temps de nous fournir l’attention et l’amour auxquels les enfants ont normalement droit.
Ce manque d’amour et le fait d’avoir été expédié chez les frères de l’Instruction chrétienne à douze ans contribuèrent à faire de moi un codépendant affectif3 avant l’heure. Quelqu’un, donc, qui avait une faible estime de soi et qui avait besoin de s’investir dans une cause ou dans autrui, pour se sentir important, pour se sentir vivre. Quelqu’un qui avait un besoin irrépressible de plaire, de convaincre, de briller et de séduire pour évoluer à peu près normalement.
J’essaie seulement de prouver au bon docteur que la psychiatrie moderne n’est rien d’autre qu’une discipline normative et répressive, une philosophie du guérir qui s’articule en fonction des valeurs de production du système capitaliste. Pas autrement…
Je voudrais bien qu’il admette que son commerce n’est rien d’autre qu’une sorte de thaumaturgie sophistiquée qui l’amène, lui, à jouer le rôle d’un contrôleur, d’un régulateur social et qui fait de lui et de ses pareils des chiens de garde des valeurs bourgeoises occidentales.
Le bonheur, c’est d’apprendre à vivre en acceptant ce qui est, au moment où on le vit; faire avec ce qui est, le plus sereinement possible, une journée à la fois. Deux idées aussi simples que fondamentales, redoutablement efficaces, qui sont à la base de toutes les recettes de bonheur proposées par les religions orientales, les philosophies New Age et les doctrines modernes se réclamant de la catharsis ou de la panacée.
...une réalité cruelle et contraignante, qui me ravageait l’intérieur comme un acide malfaisant et dont, finalement, je ne saisirai un peu l’essence que vingt-cinq années plus tard, quand je commencerai à comprendre le phénomène des blessures de l’enfance et que, pour en guérir, je travaillerai à développer ce trésor tellement personnel qu’est l’estime de soi.
J’ai peur… Une peur féroce, mordante, atroce, brûlante, la mère de toutes les peurs. Une peur insidieuse, sidérale, glacée, paralysante, inouïe qui a envahi mes bras, mes jambes, mon sexe, mon ventre, ma poitrine, ma gorge, ma nuque, mes tempes, mon visage. Elle s’est insinuée partout à l’intérieur de ma tête. Il n’y reste plus d’espace.
Je dus apprendre à vivre avec en permanence la peur de devenir fou, la hantise d’avoir inconsciemment glissé d’un pôle à l’autre. Chaque jour, je dus composer avec la crainte viscérale de perdre les plus élémentaires de mes moyens, comme les facultés de penser, de parler, d’agir normalement.