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Citation de mimo26


Une famille à problèmes

Sophie est une jolie petite fille, mince, aux cheveux châtain foncé. Elle a eu de nombreuses responsabilités inhabituelles pour son âge et elle a une connaissance faussée du monde des adultes.

Dossier 4325G/Sophie Gilmore

Avant la naissance de mes propres enfants, j’avais très peu de souvenirs heureux et, si j’essaye toujours de leur donner le meilleur, c’est parce que personne ne l’a jamais fait pour moi. Je dois avoir connu de bons moments quand j’étais petite fille – forcément. Personne ne peut vivre en permanence dans le malheur et la haine, l’imprévisibilité et la colère. Parfois, je ne sais plus ; parfois, il me semble que mon esprit n’a conservé que les mauvais souvenirs, des souvenirs dont je voudrais me débarrasser.

Je suis le fruit d’un couple qui avait des problèmes bien avant que je n’entre en scène. Comme de nombreux enfants (trop nombreux), je n’étais pas désirée. Ce fut un accident, et cet accident détermina toute ma vie. Je n’ai jamais eu le sentiment que mes parents étaient follement amoureux ; ils ne m’ont jamais raconté comment ils avaient été attirés l’un par l’autre ; ils n’ont jamais raconté d’histoires drôles sur un flirt ; je n’ai jamais rien entendu montrant qu’ils avaient tenté de construire un couple heureux.

C’était papa qui commandait. S’il voulait quelque chose, il ne se souciait jamais de ce que maman faisait ou disait et il entendait bien l’obtenir à sa manière. Cela dit, elle était loin d’être craintive ou soumise. Dans tous mes souvenirs, lorsqu’ils étaient ensemble, elle passait le plus clair de son temps à crier et à le provoquer ; quant à lui, il ignorait totalement ses revendications et ne savait répondre qu’avec ses poings.

Dès le premier jour, Ali et Jennifer se sont mis en couple sur des bases malsaines. Papa avait établi les règles de la relation conjugale, et maman ne semblait vouloir faire aucun effort pour l’améliorer ou y mettre fin. Elle se montrait agressive, vindicative et violente, mais elle restait avec lui, et je n’ai jamais compris pourquoi. Papa était très bel homme, et peut-être l’attirance ne venait-elle que de cet aspect superficiel, mais maman, très belle elle aussi, n’aurait eu que l’embarras du choix si seulement elle avait rompu avec lui. Je suppose que, si elle l’avait fait, je ne serais pas là aujourd’hui, et parfois je regrette sincèrement qu’elle s’en soit abstenue.

Un autre aspect de leur relation peut avoir accentué leur impression d’être un jeune couple différent, hors normes. Papa était noir et, même si à cette époque les immigrants arrivaient en nombre dans le pays, le racisme prévalait, et mes parents y étaient confrontés chaque fois qu’ils apparaissaient ensemble. Toutefois, cela aurait pu renforcer leur lien, leur donner la sensation, comme à bien d’autres adolescents, de lutter contre la discrimination et de paver un nouveau chemin, mais je ne les ai jamais entendus aborder ce sujet. Je dois me contenter de suppositions, parce que la seule chose que je sache concernant les sentiments de maman sur la couleur de papa, c’est que ce fut un argument à dresser contre moi dès que j’ai commencé à grandir.

Maman avait quitté l’école à seize ans pour aller travailler sur une chaîne d’emballage dans une usine. Je crois qu’elle y fut heureuse quelque temps. Elle n’aimait pas l’école et n’était pas attirée par les études, si bien qu’en travaillant elle a eu l’impression de gagner une certaine liberté, mais papa était déjà entré dans sa vie, ce qui limitait son indépendance.

Elle faisait son possible pour exprimer sa propre personnalité au sein de leur relation. Elle portait des minijupes et des couleurs vives très en vogue à l’époque, se crêpait les cheveux et soulignait ses yeux d’un trait d’eye-liner qui accentuait leur bleu étincelant.

Elle avait certes quelques amies, mais il semblait que rien ne pût arrêter sa destinée inévitable : vivre avec Ali. Le premier mois de leur relation, elle était tombée enceinte de moi. Ma vie commença sous cet augure. Je n’ai jamais su s’il y avait eu amour et passion, ou ce qu’on pourrait appeler un sens du destin.

Je suis donc née neuf mois après la rencontre de deux jeunes personnes ignorantes de tout et inconscientes des conséquences de leurs actes. Les parents des deux parties furent consternés.

Ceux de mon père avaient de solides principes concernant la famille. Ils espéraient un mariage avec une fille qu’ils auraient appris à connaître et à apprécier, venant évidemment de la même origine ethnique. Ils furent horrifiés d’apprendre que maman et papa avaient partagé le même lit avant d’être mariés. Même au début des années 1970, où la plupart des gens jouissaient d’une grande liberté sexuelle, les aînés avaient du mal à l’accepter. Non seulement mon père et ma mère avaient eu des relations sexuelles très jeunes, sans être mariés, sans prendre de précautions, mais ils plongeaient leurs familles dans des problèmes d’appartenance ethnique qui les mettaient mal à l’aise. Le racisme ambiant était accentué lorsque des Blanches avaient été « mises enceintes » par des « étrangers ». Le racisme transparaissait partout. Dans mon rapport il est écrit :

Sophie est métisse [sic] – son père est peut-être même noir.

Les commentaires laissent penser que j’avais sombré encore plus loin que les autres en raison de mon double héritage. Les rapports reflètent tout simplement le sentiment de la majorité, que leurs auteurs s’expriment ès qualités ou non.

À cette époque, mes parents vivaient à Manchester, qui avait accueilli une foule d’immigrants, mais cela n’arrangeait pas forcément les choses. En réalité, cela les aggravait plutôt, car les autochtones se sentaient souvent menacés et remis en question par les nouveaux arrivants.

Mon père et sa famille étaient constamment insultés, en général en termes peu pertinents, mais peu importait : toutes les personnes ayant une couleur de peau différente étaient une cible légitime. Mon père était régulièrement traité de « bronzé », de « négro », de « Paki » ou de n’importe quel autre terme raciste du langage courant, sans que personne ne se soucie de savoir si l’insulte se référait au groupe ethnique de la victime. Pour les Blancs, tout était équivalent ; mon père était un étranger et il avait commis un péché capital : mettre une fille blanche enceinte hors des liens du mariage.

La situation était un peu différente pour maman, car ses amies pensaient qu’elle avait décroché un bon parti. Ali était très bel homme, et les adolescentes, qui avaient une vision romantique de leur relation, ignoraient qu’elle était loin d’être idéale. Elles le percevaient comme différent, elles aussi, mais d’une manière positive, pensant qu’il allait sortir ma mère de la morosité de leur environnement. Le rêve de ces filles n’aurait pu être plus éloigné de la réalité.

Au centre de tout, celle-là même qui aurait dû apporter un soutien inconditionnel à maman, ma grand-mère maternelle Grace, était furieuse. Elle était horrifiée que sa fille ait été engrossée à seize ans avant d’être mariée et, en outre, selon ses propres mots qu’elle ne mâchait pas, « par un sale nègre ».

Chez elle, le racisme était naturel, et, au bord de se retrouver grand-mère à l’approche de la quarantaine, elle considérait ma naissance comme un déshonneur. Lorsque maman lui apprit qu’elle allait avoir un bébé, après les premières insultes et la colère, ma grand-mère sortit brutalement de la pièce. Assise sur une chaise, ma mère pleurait, se demandant que faire. Elle espérait que, une fois sa colère passée, sa mère paternels n’essayèrent pas d’établir une quelconque relation avec ma mère, et, à partir de ce jour, ils l’accusèrent d’être responsable de tout.

Sans le soutien de ses parents, papa avait réussi à persuader maman qu’ils pourraient commencer une nouvelle vie à Liverpool. Là-bas, personne ne les connaîtrait, et ils pourraient élever leur bébé sans être jugés. Il n’en fut rien. Ma mère détesta Liverpool comme elle avait détesté Manchester et, après le mariage, sans cérémonie ni fête, elle se sentit encore plus délaissée. Le jeune couple trouva un horrible appartement dans un quartier malfamé de la ville et se mit en ménage avec très peu de mobilier et presque sans un sou.

Maman me confia plus tard que ce fut à ce moment que les choses changèrent entre elle et son mari. Pendant sa grossesse, papa n’avait rien eu du futur père attentif. Il se fit rapidement des amis à Liverpool et menait la vie d’un jeune célibataire. Il buvait, jouait, passait toute la nuit dehors, et on racontait même qu’il voyait d’autres femmes. Tandis qu’il continuait de mener sa vie d’avant, maman, de plus en plus grosse, de moins en moins sûre de désirer cette grossesse, restait seule dans l’appartement. Elle se demandait même parfois si elle n’aurait pas dû accepter la proposition de sa mère.

Lorsque papa rentrait, elle criait et fulminait. Il se rappelait alors qu’il avait des responsabilités et rendait sa jeune femme responsable de tout. Il commença à la frapper, sans se préoccuper de sa grossesse, sans se soucier de laisser des traces de coups et de meurtrissures.

Maman n’allant nulle part et ne voyant personne, il croyait sans doute qu’il pouvait agir en toute impunité. Et ce fut le cas. Maman ne le dénonça jamais, et je naquis sans problème, en bonne santé, à la date prévue.Maman ne m’a jamais rien raconté sur le jour de ma naissance. Il n’y eut aucun moment de tendresse sur le canapé, pendant lequel elle aurait pu me parler de mon premier cri ou de mon odeur de nourrisson, aucun bon souvenir de ce jour, aussi loin que je m’en souvienne. Je sais seulement que je suis née à l’hôpital, pas à la maison, et que papa est arrivé sur les lieux très tard dans la soirée. Je crois que là encore une opportunité fut manquée ; ils auraient pu se réconcilier et décider de repartir sur de meilleures bases, mais il n’en fut rien. Je crois que ma mère avait envisagé la situation d’une fa
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