– La fille là-bas, elle m’a volé mon seau. Elle ne veut pas me le rendre.
Roman ne prit pas la peine de changer de position : il n’aimait pas quand Gabriel parlait de cette voix aiguë et plaintive. Il savait bien que le seul but de l’enfant était d’interrompre son lent éloignement, d’essayer de le ramener à une réalité sans pitié, où les choses, quoi qu’on en pense, ne vont pas de soi.
– Drame ! Si ça se trouve, pendant que tu geins, elle est déjà en train de le revendre à une copine. Va lui tirer les cheveux, ça la calmera.
– Mais elle est beaucoup plus vieille que moi !
Roman ouvrit enfin les yeux :
– Et elle fait des pâtés de sable ? C’est une idiote. Dans ce cas-là, sois clément, prête-lui ton seau.
Gabriel eut beau feindre la déception, au fond de lui il se doutait qu’aucun miracle n’aurait pu pousser Roman à intervenir dans une guerre qui n’était pas la sienne. Comprenant qu’il n’est pas plus facile d’affronter une injustice sous prétexte qu’on l’avait prévue, il repartit, abattu, vers l’arène impitoyable.