Dès lors qu’un modeste citoyen propose quelques idées pour rééquilibrer la vie, les notions de simplisme et d’utopie sautent à l’esprit des commentateurs. Surtout à l’esprit non simpliste de ceux qui résolvent par la radiation l’impasse d’un chômage croissant, qui luttent contre la mendicité en l’interdisant, qui solutionnent le problème du logement en jetant des centaines de familles à la rue, qui décuplent les bénéfices de leurs industries en détruisant, du jour au lendemain, des milliers de foyers.
Dès lors qu’un modeste citoyen se permet de rendre un centième de ce cynisme “social”, qu’il reçoit en plein visage à longueur de vie, la réaction est unanime et sans appel :
c’est la victime, que l’on accuse d’être cynique.
- Arnaque : C’est drôle, ceux qui réclament le pouvoir finissent toujours par le prendre, alors que ceux qui réclament le travail finissent toujours par se faire prendre pour des cons.
- Herpès : Rapidement, c’est-à-dire peu après avoir égaré son peigne, le chômeur en a. Viennent ensuite la peau blanche et les cernes d’ivrogne, même s’il vit à l’air libre et ne boit encore que de l’eau. Puis, on ne sait trop pourquoi, le chômeur, qui ne s’en sert pourtant plus beaucoup, perd quelques dents. De là, lui qui avait déjà un poil dans la main, voici qu’il lui pousse un cheveux sur la langue ! Bientôt, ses jambes s’alourdissent et il marche en traînant la savate, souffre de migraine chronique et de diarrhée persistante, et de façon toujours moins explicable, il perd totalement confiance en lui et davantage encore en la société qui pourtant fait tout pour l’empêcher de s’enfoncer… Attention !! Dès votre toute première manifestation herpétique, vous êtes en danger ! Foncez immédiatement chez un docteur, ne lui dites surtout pas que vous êtes couvert par la CMU (il ne vous soignerait pas), et demandez-lui la totale. Sinon… adieu veaux, vaches, cochons.
- M.S.T. : Chéri, le chômage n’est pas une Maladie Socialement Transmissible. J’en sais quelque chose, je viens exprès de coucher avec ton ancien patron et il l’a même pas eu.
- Précarité : Depuis le temps qu’elle dure, on se demande ce qu’attend l’Académie pour en faire un synonyme de “stabilité”.
(Des comme ça, vous en trouverez plein le livre... Il s’agit d’une parodie d’un pamphlet prérévolutionnaire intitulé Théologie portative ou Dictionnaire abrégé de la religion chrétienne publié en 1768 et attribué à D’Holbach. Nous avons juste remplacé l’Eglise par l’ANPE.)
Les auteurs mineurs du XVIIIe siècle ont été beaucoup plus loin dans la critique de la société, et donc dans la pensée prérévolutionnaire, que ne l’ont fait les grands philosophes, même si ces derniers ont fourni aux écrivains radicalisants de seconde zone les positions fondamentales sur lesquelles ils se sont appuyés. Certains prêtres, notamment, ou du moins certains auteurs formés en religion, ont fait preuve d’une exaltation utopique dans des conceptions parfois tout à fait opposées. Parmi ces missionnaires de la liberté et autres aventuriers des Lettres, Dulaurens occupe sans doute une place à part, dans l’esprit des propagandistes de la démocratie comme dans celui des idéalistes libertaires.
Partout, des colporteurs se relaient en multipliant les ficelles pour échapper à la police. Les petites reliures clandestines se propagent à travers les États comme pourvues d’ailes d’anges, voltigent parmi les foules où des mains rebelles s’ouvrent pour s’en saisir, les dissimuler, les lire et s’en imprégner, puis leur rendre leur liberté par la contagion qu’elle engendre. Les livres de Laurent ne font pas seulement rire les gens du peuple qui les dévorent ou en écoutent attentivement la lecture : ils leur font voir le monde autrement, ils ouvrent leur horizon, ils les comblent d’un souffle de rémission, d’une indéfinissable délivrance, d’un mystérieux espoir.
En lisant Dulaurens, la plupart des observateurs sont frappés par l’émanation de folie qui se dégage de ses textes. On percevra d’abord de lui, derrière l’aspect attachant d’une inspiration pétulante, son besoin vital de changement, son impossible quête de stabilité, ses digressions carnavalesques vers un ailleurs onirique, ses fuites salvatrices…
Sa fuite.
C’est cela, Dulaurens. Une part de génie émouvant, toujours en ébullition, entre l’escapade malicieuse et la fugue inéluctable, entre l’évasion et la déroute.