Stéphane Bigo

À Nadjaf, un seul sanctuaire, le mausolée d'Ali. La couleur du gendre de Mahomet est le turquoise qui flotte en grands drapeaux sur les édifices ou en banderoles dans les rues. Du coup l'atmosphère en est beaucoup moins sinistre, même si les bannières noires n'ont pas complètement disparu.

Je rencontre un jeune prêtre libanais, très distingué avec son impeccable turban blanc et sa somptueuse cape noire. Il parle un français très convenable et m'explique qu'il apprend la théologie avec un maître irakien. Il m'invite chez lui pour prendre le thé. Il est marié mais je ne verrai pas sa femme car il prend un luxe de précautions peu ordinaire pour qu'elle m'évite. Dans la rue, il l'appelle à haute voix, la prévient qu'il arrive avec un étranger et attend. Dans la pièce où il me reçoit, il lui parle à travers la paroi. Elle prépare le thé, le place derrière la porte, s'éclipse le temps que mon hôte saisisse le plateau et la referme soigneusement. Nous parlons bien entendu de ses études et il me fait admirer des livres religieux en écriture arabe, calligraphiés, enluminés, reliés de cuir et ornés d'or. Tout le temps de la conversation, sa femme est derrière la porte. Elle doit être assez cultivée car de temps à autre, elle dit à haute voix le mot français que son théologien de mari est en train de chercher. Je n'ose pas dire que je suis dévoré de la curiosité de faire sa connaissance. Je suppose que de son côté elle doit mourir d'envie de me voir. Tous les éléments d'un bon vaudeville sont réunis. Religion, jusqu'où nous mèneras-tu?