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Citation de Partemps


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EP : En disant que « le fou n’écrit pas », vous ne semblez pas croire en l’existence d’une littérature de la folie, en ce que d’aucuns (psychopathologues, psychanalystes, philosophes et critiques littéraires) ont appelé la « follitérature » ? Les écrivains eux-mêmes voient dans la folie une source d’inspiration ou la posent en faire-valoir de la création authentique. Les surréalistes étaient prêts à explorer les arcanes de la folie à condition d’y suivre, à distance très raisonnable, un guide. Ce guide, Artaud était susceptible de l’incarner car l’acuité de sa douleur, l’urgence de sa conviction, la force de son écriture, lui conféraient un indéniable ascendant. Dans le Manifeste du surréalisme, Breton pense la folie comme un merveilleux continent inexploré et les fous comme de passionnantes victimes de l’imagination. Qualifieriez-vous ici son attitude de fondamentalement « bestiale » ? Et pensez-vous que l’écriture automatique n’ait été qu’une vaste supercherie ?

TG : Je ne nie pas l’existence d’une « follitérature », ni même son intérêt, je dis qu’elle est tout à fait contraire à la démarche d’Artaud. Et, de là, s’explique son combat contre la supercherie surréaliste, ce qu’il appelle son « bluff ». Si Artaud avait écrit en ce sens, il aurait fait du surréalisme à la Breton – un des aspects de ce qu’il appelle la « bestialité ». Les surréalistes prétendent que le rêve est libératoire alors que, pour lui, tout ce qui n’est pas lucide est précisément la preuve de l’aliénation. Connaissez-vous des malades mentaux qui se sont libérés de leur folie en écrivant ? Tous ceux qui rêvent un avenir contenu dans leur esprit sans possibilité d’application sont victimes de leur imagination. En somme, pour simplifier : Artaud utilise la folie comme un moyen et Breton comme une fin – en prenant bien soin de ne pas basculer dans la folie, donc en restant un vrai bourgeois. La question posée par Artaud est la suivante : à l’ère des cultures de masse, l’homme aliéné a-t-il besoin de se dépayser pour trouver les moyens de vivre plus lucidement ?

EP : Artaud, au départ, concevait le surréalisme comme un état de révolte où tout devait être centré sur l’esprit, il s’agissait d’en finir avec un esprit considéré comme une entité détachée de la matière, pensez-vous que cette conception soit à l’origine du malentendu ? Quelle est, selon vous, la principale raison qui a poussé Breton à exclure Artaud de sa sphère ?

TG : Pour Artaud, en effet, le mal occidental provient pour beaucoup du dualisme de l’esprit et du corps. Il ne se contente d’ailleurs pas de pointer Descartes, mais, en remontant dans le temps, la totalité des philosophies occidentales depuis au moins Platon. En ce sens, il n’est pas très éloigné de Breton, sauf que ce dernier opte pour un faux monisme. A la suite des philosophes libertins du XVIIème siècle, puis de Sade, Breton propose une union du corps à l’esprit par le biais de l’hédonisme. En revanche, à la suite de Rousseau et de Marx, Artaud est l’un des rares penseurs occidentaux à démontrer de façon effectivement matérialiste que, contrairement à une idée répandue, le « matérialisme » épicurien est une pensée qui vise seulement la surface des choses et qui, depuis le libéralisme anglais, propose de surcroît une conception de la liberté qui n’est ni plus ni moins que celle de la bourgeoisie. Voilà pourquoi, aujourd’hui, un Michel Onfray, grand pourvoyeur médiatique de l’hédonisme, est également, par ses théories et la profusion de ses écrits, le meilleur modèle du libéral/libertaire. C’est ce malentendu – qui n’en est pas un en réalité – qui explique la rupture entre Artaud et Breton. Car Breton s’engage dans la politique alors que le surréalisme originel s’y refusait – après avoir réalisé que sa conception du surréalisme ne menait à rien. Mais il s’engage également parce qu’il veut se faire un nom dans les lettres... Comme Onfray, il est un vrai bourgeois.
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