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Citation de enkidu_


Jamais le peintre chinois ou japonais ne représentera le monde à l’instar d’un cosmos achevé, et sous ce rapport sa vision des choses est aussi différente que possible de celle de l’Occidental, même de l’Occidental traditionnel, qui conçoit toujours le monde d’une manière plus ou moins « architecturale ». Pour le contemplatif qu’est le peintre extrême-oriental, le monde est comme fait de flocons de neige, soudainement cristallisés et bientôt dissous : comme il reste toujours conscient du non-manifesté, les états physiques les moins solidifiés sont pour lui les plus proches de la Réalité sous-jacente aux phénomènes, d’où cette observation subtile de l’atmosphère que nous admirons dans la peinture chinoise à l’encre et au lavis.

On a voulu rapprocher ce style de l’impressionnisme européen, comme si les points de départ, d’un côté et de l’autre, n’étaient pas radicalement différents, malgré certaines analogies accidentelles. Si l’impressionnisme relativise les contours typiques et stables des choses en faveur d’une atmosphère instantanée, c’est qu’il recherche, non pas la présence d’une réalité cosmique supérieure aux objets individuels, mais tout au contraire l’impression subjective dans ce qu’elle a de plus passager ; c’est le moi, avec sa sensibilité toute passive et affective, qui colore ici les choses. La peinture taoïste par contre évite a priori, par sa méthode et son orientation intellectuelle, l’emprise du mental et du sentiment avides d’affirmations individuelles ; pour elle, l’instantanéité de la nature, avec tout ce qu’elle a d’inimitable et de presque insaisissable, n’est pas en premier lieu une expérience affective, c’est-à-dire que l’affectivité qu’elle y trouve n’a rien d’individualiste ni même d’homocentrique ; sa vibration se dissout dans le calme serein de la contemplation. Le miracle de l’instant, immobilisé par une sensation d’éternité, dévoilera l’harmonie primordiale des choses, harmonie que le mental couvre ordinairement par sa continuité subjective.

Quand ce voile se déchire subitement, des rapports jusqu’alors inobservés, reliant entre eux les êtres et les choses, révèlent leur unité essentielle : telle peinture représente, par exemple, deux hérons au bord d’un torrent printanier ; l’un d’eux épie le fond des eaux, l’autre lève la tête en écoutant, et dans ce double mouvement, à la à la fois momentané et statique, ils sont mystérieusement unis à l’eau, aux roseaux pliés par le vent, aux cimes apparaissant au-delà de la brume. A travers un aspect de la nature vierge, l’intemporel a touché l’âme du peintre comme un éclair. (pp. 190-191)
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