Ils étaient trois, assis sur le sable mouillé au beau milieu d'un vaste banc, jambes repliées, adossés les uns contre les autres. Il faisait si noir qu'à cinq pas de distance leur groupe fût probablement passé pour un tas de bois mort fortuitement amoncelé par la dernière montée des eaux. Toutefois, il n'y avait personne pour regarder : cette langue de terre était exempte de toute vie, à l'exception de ce groupe d'hommes. Parmi eux, celui qui avait le dos le plus large était assis - tout recroquevillé, les pans gelés de sa tunique en peau retroussés, mains enserrées dans le repli interne des genoux. Il avait les doigts gourds, douloureux ; aussi, par ce moyen improvisé, cherchait-il à les réchauffer un tant soit peu ; ses efforts, cependant, restaient vains, car ses jambes étaient mouillées bien au-delà des genoux.
La ville de Srednerietsk, alias Grande-Perdition, était un autre haut lieu de la vie perditionniste, situé à cinq cents verstes en amont du fleuve. Pour les arrivants, ces villes jouaient toutes deux, l’une vis-à-vis de l’autre, le rôle de soupapes de sûreté. Qui était trop lassé de vivre dans l’une se rendait à l’autre, escomptant ainsi larguer partie de l’ennui qui le terrassait. Au demeurant, leur ressemblance était telle que leur spécificité cessait de se faire sentir au bout de deux ou trois déménagements, si bien que la permutation des lieux de vie n’apportait plus aucun soulagement.
– Je vais partir, fit docilement Rybkovski, avant de s’interrompre.
On voyait à ses traits qu’il avait encore quelque chose à exprimer.
– Maria Nikolaïevna, prononça-t-il enfin, nos chemins ont voulu converger sans y parvenir. Cette forêt les voit bifurquer dans des directions différentes… Fais-moi tes adieux maintenant, tant que personne ne nous voit ! De toute façon, nous allons nous séparer ; nous ne nous verrons plus ! Sa voix trembla.