Yves Bulteau

« Un autre doigt, une autre corde, une autre case, un autre hurlement. Ce n’était pas un solo de guitare, pas de la musique, mais le rugissement d’un être dont je ne savais rien, qui était là à nouveau, qui s’emparait de ma chair, de mon sang, de mes os. J’ai senti un gout fade et cuivré dans ma bouche. Je m’étais mordu la langue, comme je le faisais dans mon enfance pour apaiser ma soif de sang. Rik s’est approché. Il me faisait face. La lumière noire de son regard planté dans le mien. Ses doigts couraient sur le manche de sa Gibson. Il reprenait chacune de mes notes, un peu en décalage. J’ai compris ce qu’il voulait. Rik m’offrait le soutien de son expérience, la béquille de sa virtuosité à toute épreuve. Un solo en partage. Un cadeau qu’il n’aurait fait à personne d’autre. Le public jubilait, il communiait avec nous. Les ondes de son enthousiasme déferlaient sur la scène en vagues puissantes.
Le sang coulait dans ma gorge. Rik ne se contentait plus de reprendre mes notes. Il en ajoutait d’autres, que je reprenais à mon tour, sans la moindre erreur, sans y penser. Osmose. C’était beaucoup plus fort que les effleurements de nos baisers. Plus de barrière, plus d’interdits. Nous n’étions qu’un. Lui avec moi, telle que j’étais, humaine et inhumaine, monstrueuse. »