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Citation de Cleophyre_Tristan


Le lieutenant Darcet était, en effet, arrivé chez le comte d'Agghierra dans l'après-midi.
- Vous m'excuserez, cher monsieur Darcet, lui dit le comte en allant au-devant de lui, jusqu'à la voiture qui l'amenait, de n'être pas allé vous chercher moi-même, comme j'en avais eu d'abord l'intention; mais nous sommes en plein remue-ménage. Merci, cher monsieur, merci d'avoir bien voulu accepter l'hospitalité que la comtesse d'Agghierra est heureuse de vous offrir.
- Heureuse et honorée, monsieur, ajouta la jeune femme.
Et elle présenta sa main mignonne à l'officier, qui la pressa quelque peu à la dragonne.
Le lendemain, les hôtes du Dolmen firent une visite à leurs amis des Korrigans.
Le comte d'Agghierra présenta Emmanuel Darcet.
- Pour ceux et celles d'entre vous qui ne connaissent pas encore M. Darcet, ajouta le comte, je m'empresse de dire que c'est un homme de cœur que nos amis et moi avons en grande estime.
Le lieutenant s'inclina.
- M. d'Agghierra a bien parlé, dit la comtesse de Rostang, en tendant sa main à l'officier. M. Darcet a droit à toute notre estime et à toute notre reconnaissance, et nous sommes heureux, mon fils et moi, de lui donner ce témoignage public de nos sentiments.
Gaston prit la main de Darcet et la serra avec beaucoup de courtoisie.
Marie restait coite. Le nom de Darcet lui rappelait un ami des mauvais jours; mais le jeune homme n'éveillait en elle aucune sympathie.
Darcet paraissait fort embarrassé. Cet accueil gracieux, bienveillant, affectueux même, qui lui était fait, le flattait, sans doute, mais le gênait singulièrement.
Il se sentait dans un milieu tout nouveau, et sans l'intimider positivement, tout ce monde aux grandes manières paralysait les intentions qu'il avait de répondre à ces témoignages flatteurs.
Il ne savait que s'incliner et balbutier. Ses regards allaient de l'un à l'autre.
Tout à coup, ils s'arrêtèrent brusquement sur Marie qui, placée en pleine lumière, était rayonnante de beauté.
Un éclair d'admiration brilla dans ses yeux.
La comtesse de Rostang, qui le surveillait, se mit à sourire.
- Puisque nous sommes aux présentations, dit-elle, permettez-moi, monsieur Darcet, de vous présenter Mlle Marie Maubert. Elle n'est pas une inconnue pour vous; mais après l'avoir vue enfant, vous la retrouvez jeune fille. La chrysalide est devenue papillon, le bouton est devenu fleur.
Emmanuel resta muet. Ce n'était pas seulement la transformation de Marie qui le stupéfiait, c'était sa présence au milieu de tout ce monde d'élite.
La sœur de Cista patronnée par la mère du comte de Rostang, cela le confondait.
La comtesse crut qu'il était ébloui.
Il l'était, en effet; mais, en même temps, il était surpris au delà de toute expression.
Son embarras était si grand et si visible que la comtesse d'Agghierra s'empressa de venir à son secours, en fournissant un autre sujet à la conversation.
Mme de Rostang était ravie, car elle croyait avoir remporté une première victoire.
La vérité était que l'effet de cette présentation avait été désastreux pour les projets de la vieille dame.
Marie avait été on ne peut plus désagréablement impressionnée.
D'abord, il lui avait fort déplu qu'on lui rappelât sa misère passée, en lui présentant cet ancien visiteur de la mansarde de la rue Mouffetard, qu'elle avait oublié.
Enfin le lieutenant, troupier fini, n'avait rien qui parlat en sa faveur auprès d'une jeune fille.
Trois ans passés en Afrique dans des lieux de garnison exclusivement militaires, dans les camps, sous la tente, sans autre compagnie que des soldats et des Arabes, lui avaient fait prendre, forcément et bon gré mal gré, des habitudes vulgaires.
C'est ce qui arrive parfois, même aux officiers qui ont reçu une excellente éducation.
La tournure de Darcet était hardie, mais sans élégance; il avait le geste brusque, la parole dure. Les marches forcées avaient imprimé à son corps un dandinement assez accentué.
Et ce n'était pas tout.
Outre qu'il s'exprimait gauchement, Emmanuel était devenu laid.
D'abord, il portait les cheveux taillés en brosse. Cela peut être très martial, mais pour une jeune fille ce n'est pas beau; et puis, - hélas ! -, il commençait à être chauve.
Son teint était basané par le soleil et une cicatrice honorable, mais pas belle du tout, lui coupait le visage, partant du front, au-dessus du nez, tranchant l'arcade sourcilière gauche pour venir zébrer la joue jusqu'au-dessous de l'oreille. L'œil n'était pas perdu, mais peu s'en fallait.
Le vaillant adjudant avait reçu cette blessure dans un combat corps à corps avec un Arabe; elle lui avait valu l'épaulette; mais si elle était un certificat de bravoure aux yeux des soldats, aux yeux des femmes elle était un repoussoir à l'amour.
Darcet ne se faisait pas illusion à ce sujet, et cela était certainement pour quelque chose dans sa timidité et sa gaucherie.
Malheureusement, Mme de Rostang oubliait ce qu'elle avait fait pour Marie Maubert; elle ne se rendait pas assez compte de la transformation que l'éducation, la vie du monde avaient opérée chez la jeune fille. Elle ne se souvenait plus de la nature singulièrement distinguée de la sœur aînée, que son fils avait adorée.
Elle ne voyait aucune distance entre Emmanuel Darcet et Marie Maubert.
Elle ne comparait que les origines.
Et, phénomène curieux qui prouve bien qu'en dépit de leurs protestations, les classes privilégiées subissent quand même l'influence de ce qu'on est convenu d'appeler les préjugés et que nous appellerons, nous, des affinités de race, la comtesse, qui trouvait Darcet digne de Marie, eût déclaré ridicule qu'il osât aimer Léonie de Rostang.
Elle n'admettait pas que Marie pût repousser le lieutenant, mais elle eût considéré comme un malheur que sa nièce aimât cet officier sans fortune, sans nom, dont l'avenir était forcément borné.
Elle agissait donc de bonne foi, étant absolument convaincue que ses projets étaient ceux d'un cœur généreux et qu'elle travaillait au bonheur de sa protégée comme à celui de Darcet.
Voilà, et nous avons cru devoir le bien définir, dans quelle situation d'esprit se trouvaient nos principaux personnages.
Marie et Régine s'étaient préparées pour une double chasse à courre et la comtesse de Rostang avait organisé une battue. La rabatteuse ne s'était pas montrée moins habile que les deux limières. Mais, de part et d'autre, on avait compté sans les incidents.
Le sanglier pouvait faire tête.
Le chevreuil et le faisan pouvaient échapper au tiré.
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