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Citation de Cleophyre_Tristan


Le surlendemain, à sept heures du soir, après avoir donné congé à tout son monde, Julie exceptée, Régine fit prévenir Pied-de-Fer qu'il eût à laisser monter chez elle, sans leur demander leur nom, les dames qui se présenteraient en demandant « l'héritière ».
C'est ainsi que Régine avait signé ses lettres.
À neuf heures un quart, six femmes étaient introduites dans le boudoir de la fille d'Impéria.
À cette époque, on s'occupait beaucoup à Paris et dans les journaux légers d'une réunion de femmes que l'on désignait sous cette appellation singulière : « Le Comité des Blondes ».
C'était, disait-on, une association ingénieuse dont la coquetterie était l'âme, et qui avait la prétention de donner et même d'imposer le ton au monde des salons, des théâtres, comme au monde des boudoirs.
Toutefois, ce « Comité des Blondes » n'existait qu'à l'état de mystère, d'énigme, comme le Conseil des Dix à Venise au temps des doges, comme la Junte secrète sous Charles VII d'Espagne, avec cette différence, cependant, que « Le Comité des Blondes » n'inspirait aucune terreur et n'éveillait qu'un sentiment : le désir d'y être admis.
Or, circonstance bizarre, les six femmes que Régine avait conviées et qui répondaient à son appel étaient blondes.
Ces six têtes représentaient la gamme complète du blond dans ses principales nuances, depuis le blond doux et tendre du lin, le blond de l'épi mur, le blond de la Marguerite de Goethe, jusqu'au blond ardent qui ressemble à l'or filé, ce blond si cher aux femmes vénitiennes immortalisées par le pinceau de Titien.
Celui qui aurait vu ces six femmes blondes réunies n'eût pas manqué de voir en elles une délégation du « Comité des Blondes » envoyée vers Régine.
Chaque visiteuse était arrivée seule.
À l'exception d'une, qui portait une élégante toilette de soirée, toutes les autres avaient des vêtements de couleur sombre, et le visage couvert d'un voile épais.
Julie, grave et solennelle comme une impératrice, avait reçu ces dames, sans leur demander leur nom, et les avait successivement introduites dans le boudoir de sa maîtresse.
Ces six femmes se connaissaient-elles ?
On n'aurait pu le dire; car, discrètement, elles s'examinaient et gardaient une réserve silencieuse. Elles avaient l'air contraint, étonné, inquiet; il était facile de deviner qu'elles étaient là parce qu'elles avaient obéi à un ordre.
Au bout de cinq minutes d'attente, après l'entrée de la dernière arrivée, les portières du boudoir se soulevèrent et Régine parut.
Elle était vêtue de noir; mais le velours de son corsage entrouvert faisait valoir la blancheur nacrée de ses épaules et de sa poitrine admirablement modelées.
Le regard était hautain, l'attitude impérieuse.
Tous les yeux se tournèrent vers elle avec une curiosité anxieuse. Aucune des blondes ne connaissait l'héritière.
Régine les salua avec courtoisie et dit :
- Mesdames, je vous remercie de votre exactitude, au nom de Mme Impéria dont je suis l'héritière.
- Vous, madame ? fit une des invitées.
- Oui, moi. Je suis la fille de Mme Impéria ou, si vous le préférez, de Jeanne Terrassin.
- Rien ne nous le prouve, répliqua la même invitée.
- Je vous le dis et cela doit vous suffire, riposta Régine d'un ton sec. Mais il m'est indifférent que vous le croyiez ou non. J'ai entre mes mains des papiers qui, dans tous les cas, ne vous laisseront aucun doute sur ma qualité d'héritière de Mme Impéria. Mais vous paraissez étonnées de vous trouver ainsi rassemblées; je comprends, chacune de vous croyait se trouver seule avec moi.
- Certainement, répondit une femme visant à l'élégance, mais vêtue sans goût, sans cela...
- Achevez donc votre phrase.
- Eh bien ! je ne serais pas venue.
Régine toisa dédaigneusement son interlocutrice.
- Vous êtes mademoiselle Amélie, n'est-ce pas ? fit-elle.
- Oui, mademoiselle, je suis Mlle Amélie.
- Je vous ai reconnue à l'accent aigre de votre voix et surtout à la façon dont vous êtes habillée. Ainsi, mademoiselle Amélie. vous ne seriez pas venue... Je comprends, je comprends : ce sont les soins que vous donnez à vos élèves qui vous eussent retenue... C'est que vous veillez sur vos élèves avec une touchante sollicitude, mademoiselle Amélie.
L'institutrice devint blême; mais elle ne répondit pas.
- Moi, je serais venue ici quand même, dit la femme en toilette de bal; si vous m'avez rappelé le service que Mme Impéria m'a rendu, c'est que vous avez besoin de moi. Je dois trop à votre mère, mademoiselle, pour ne pas me souvenir. Les grandes dames, mes bonnes amies, m'eussent laissé rouler dans l'abîme. Impéria m'a sauvée. Je lui ai dit que je n'oublierais jamais ce qu'elle avait fait pour moi. Si l'heure de payer ma dette est venue, me voici.
Celle qui venait de parler était une petite femme jeune encore, au teint pâle, aux yeux noirs, ce qui donnait à sa physionomie de blonde un cachet d'originalité tout à fait séduisant.
Elle s'était exprimée avec feu, et son regard résolu ne permettait pas de douter de la sincérité de ses paroles.
- Je vous remercie de tout mon cœur, madame, répondit Régine; ma mère avait raison de compter sur vous.
- Mais sur moi aussi ! s'écrièrent en même temps les autres femmes.
- Et la preuve, ajouta Mme Amélie, c'est que je suis ici au risque de me compromettre.
- Vous, mademoiselle, répliqua Régine, je suis sûre que vous êtes venue comme un chien qu'on fouette.
- Oh !
- Ne protestez point, les notes de ma mère sont précises. Mais vous êtes venue, c'est l'essentiel.
Melle Amélie, que Régine traitait si durement, était une grande fille assez jolie, mais minaudière, et qui gâtait ses avantages physiques par des allures prétentieuses insupportables. Son nez pointu, ses lèvres minces n'annonçaient ni la douceur, ni la franchise.
- Quant à moi, s'empressa de dire une grosse femme, dont les manières vulgaires contrastaient avec la richesse de son vêtement, je serais venue plutôt sur la tête, foi de femme Maréchal.
- Ah ! fit Régine en souriant, c'est vous qui êtes madame Maréchal ?
- Pour vous servir, mademoiselle.
- Mesdames, reprit Régine, si vous ne la connaissez pas, je vous présente Mme Maréchal, une femme précieuse; elle vend de tout et achète de tout. C'est une marchande à la toilette des mieux achalandées... Marchandises neuves et d'occasion, robes de hasard et vertus au rabais.
La marchande grimaça un sourire.
- Et vous, madame, dit Régine, s'adressant à une toute mignonne créature, qui semblait ne pas avoir plus de vingt-deux ans, quelle est votre pensée ?
Celle-ci, qui était très modestement vêtue, et qui se tenait dans son coin immobile, humble, timide, silencieuse, répondit :
- J'ai peur, mademoiselle.
- Pourquoi ?
- Si Étienne savait que je suis ici, que dirait-il ? Que supposerait-il ?
- Que vous vous occupez avec ces dames d'une œuvre de bienfaisance.
- Et puis qu'allez-vous me demander ?
- Bah ! Ne tremblez pas d'avance; ce sera moins difficile que de mettre un enfant au monde.
- Vous êtes cruelle, mademoiselle, répondit la peureuse en essuyant une larme.
- Et vous, madame Crésus, avez-vous peur aussi ? demanda Régine, en s'adressant à sa voisine de droite, dont le regard rayonnait d'orgueil.
- J'attends, répondit sèchement l'interpellée.
- Mademoiselle, dit alors la sixième femme blonde d'un ton délibéré, ne nous faites pas poser plus longtemps. Il est clair que vous avez quelque chose à exiger de nous, ce qui vaut mieux que la reconnaissance que nous devions à votre mère. Vous nous tenez, je le reconnais, parce que vous avez une arme contre nous.
Il y eut deux ou trois protestations.
- Laissez-moi donc parler !... Au fond du cœur, plus ou moins, nous détestons en ce moment mademoiselle l'héritière.
- Parlez pour vous, fit l'institutrice.
- Vous, ma belle, s'il ne fallait que votre voix pour nous débarrasser de notre créancière par délégation...
- Dites par héritage, madame, interrompit Régine.
- Par héritage, si vous voulez; mais un héritage n'est pas autre chose qu'une délégation de la mort.
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