Wieland Schmied

Je répète qu'on a envie de se promener dans les tableaux de Giorgio De Chirico ; villes de somptuosité, dirai-je, et d'harmonie ; villes qui nous troublent tout de même, car elles paraissent avoir l'indifférence d'une chair qui ne se sentirait point vivre ; et déjà cette perfection qui engageait au repos et à de paisibles bonheurs semble appeler la mort ; et parce qu'il est homme à la conscience orgueilleuse, le peintre assombrit l'horizon d'une menace glauque.

(René Crevel, "Merci, Giorgio De Chirico", dans Disque Vert, n°3, décembre 1923.)

Le changement de style de l'artiste après 1917 (que Motherwell désigna en 1942 comme la "dégénérescence" d'un "goût contemporain" antérieur) rendit évidemment encore beaucoup plus complexe les écrits critiques sur De Chirico. Cette transformation ("quelque chose arriva", écrit Motherwell, "qui altéra la conception qu'avait De Chirico de la peinture") eut une influence immédiate sur ce que l'artiste pouvait dire de son oeuvre et amorça un changement graduel de son imagerie. Il n'est donc pas étonnant que le premier De Chirico ait été si souvent mal compris, dans la mesure où l'on confronte rétroactivement à l'oeuvre de ces années-là des textes rédigés ultérieurement - qui forment l'essentiel des écrits de De Chirico.

Je crois, moi, qu'une place pétrifiée dans la clarté de midi recèle plus de mystère qu'une chambre obscure, au coeur de la nuit, pendant une séance de spiritisme.

(G. De Chirico).