Mellin de SAINT-GELAIS - Un ennemi de la Pléiade ? (CHAÎNE NATIONALE, 1953)
Car, quand de vous loin je me trouve,
Bel œil, il est force qu’il pleuve
Des miens une obscure nuée,
Qui jamais n’est diminuée,
Ni ne s’éclaircit ou découvre,
Jusqu’à tant que je vous recouvre ;
Et puis nommer avec raison
Mon triste hiver cette saison.
Treizain
Par l'ample mer, loin des ports et arènes
S'en vont nageant les lascives sirènes
En déployant leurs chevelures blondes,
Et de leurs voix plaisantes et sereines,
Les plus hauts mâts et plus basses carènes
Font arrêter aux plus mobiles ondes,
Et souvent perdre en tempêtes profondes ;
Ainsi la vie, à nous si délectable,
Comme sirène affectée et muable,
En ses douceurs nous enveloppe et plonge,
Tant que la Mort rompe aviron et câble,
Et puis de nous ne reste qu'une fable,
Un moins que vent, ombre, fumée et songe.
//Œuvres poétiques complètes
Editions Prosper Blanchemain, 1873
Il n’est point tant de barques à Venise…
Il n’est point tant de barques à Venise,
D’huîtres à Bourg, de lièves en Champagne ;
D’ours en Savoie et de veaux en Bretagne,
De cygnes blancs le long de la Tamise ;
Ni tant d’amours se traitant en l’église,
De différends aux peuples d’Allemagne,
Ni tant de gloire à un seigneur d’Espagne,
Ni tant se trouve à la cour de feintise ;
Ni tant y a de monstres en l’Afrique,
D’opinions en une République,
Ni de pardons à Rome un jour de fête ;
Ni d’avarice aux hiommes de pratique,
Ni d’arguments en une Sorbonnique,
Que ma mie a de lunes en la tête.
//Œuvres poétiques complètes
Editions Prosper Blanchemain, 1873
Vous que second la noble France honore,
Pouvez cueillir par ces prez florissans
Oeilletz pour vous seul s’espanouyssans,
Escloz ensemble avec la belle Aurore ;
Pour vostre front le rosier se colore,
Dont les chappeaux si hault lieu cognoissans,
Forment boutons de honte rougissans,
Sçachant que mieulx vous appartient encore.
Ceincte de liz la blanche Galathee
Ses fruictz vous garde, en deux paniers couvertz,
L’un d’olivier, l’aultre de lauriers vertz.
Ainsy chantoit des Nymphes escoutee
La belle Eglé, dont Pan oyant le son
Du grand Henry l’appella la chanson.
D'amour je ne me veux plaindre
D'amour je ne me veux plaindre
Ni du sort aventureux ;
Ni la mort je ne puis craindre,
Car j'ai mal plus dangereux.
Un bien me fait malheureux,
Dont j'ai perdu la valeur
Celui au prix est heureux
Qui n'eut jamais que malheur !
//Œuvres poétiques complètes
Editions Prosper Blanchemain, 1873
D’UN PRÉSENT DE ROSES
Ces roses-ci par grande nouveauté
Je vous envoie et en ai bien raison ;
La rose est fleur qui sans comparaison
Sur toutes fleurs a la principauté.
Sur toutes est ainsi votre beauté,
Et comme, en France, à l’arrière-saison
La rose est rose et n’en est pas foison,
Rare est aussi ma grande loyauté.
Doncques vous doit la rose appartenir,
Et le présent et sa signifiance
Mieux que de moi ne vous pouvait venir ;
Car comme au froid elle a fait résistance,
J’ai contre envie aussi su maintenir
Mon bon vouloir, ma foi et ma constance.
Le temps, qui tout mal apaise,
Le temps, qui tout mal apaise,
Rend le mien plus vigoureux,
Et fait que rien ne me plaise,
Sinon d'être douloureux.
Mon pleur large et plantureux
Nourrit ma flamme et chaleur :
Ô que celui est heureux
À qui déplaît son malheur !
...
//Œuvres poétiques complètes
Editions Prosper Blanchemain, 1873
Quand le Printemps…
Quand le Printemps commence à revenir,
Retournant l’an en sa première enfance,
Un doux penser entre en mon souvenir
Du temps heureux que ma jeune ignorance
Cueillit les fleurs de sa verte espérance.
Puis, quand le ciel ramène les longs jours
Du chaud Été, j’aperçois que toujours
Avec le temps s’allume le désir
Qui seulement ne me donne loisir
D’aviser l’ombre et mes passés séjours.
Puis, quand Automne apporte le plaisir
Des ses doux fruits, hélas, c’est la saison
Où de pleurer j’ai le plus de raison,
Car mes labeurs ne l’ont jamais connue :
Mais seulement, en ma triste prison,
L’Hiver extrême ou l’ Été continue.
Un charlatan disait en plein marché
Qu'il montrerait le diable à tout le monde ;
Si n'y eût nul, tant fût-il empêché,
Qui ne courût pour voir l'esprit immonde.
Lors une bourse assez large et profonde
Il leur déploie, et leur dit : " Gens de bien,
Ouvrez vos yeux ! Voyez ! Y a-t-il rien ?
- Non, dit quelqu'un des plus près regardants.
- Et c'est, dit-il, le diable, oyez-vous bien ?
Ouvrir sa bourse et ne voir rien dedans. "
Ainsy, Ronsard, ta trompe clair sonnante
Les forestz mesme et les mons espouvente
Et ta guiterne esjouit les vergiers.
Quand il te plaist tu esclaires et tonnes,
Quand il te plaist doulcement tu resonnes,
Superbe au Ciel, humble entre les bergiers.