Ces lourds fusils avaient remplacé nos mères. Plutôt mourir que perdre son fusil. Nous étions devenus inséparables. Sans mon arme, je me sentais totalement vulnérable. On est en droit de se demander si les chefs étaient conscients de ce qui nous arrivait. Peut-être s’en rendaient-ils compte ? Mais ils préféraient laisser à Museveni le soin de mettre un terme à tout cela.
J’ai été choquée de voir que les gens de mon âge n’ont pas d’enfant, vont à l’école, n’ont pas tant de responsabilités à penser. Je ne savais pas quoi leur dire. Et au Danemark, même un chien à une maison, des parents.
J’ai entendu une voix criant “gauche, droite, gauche, droite”. Des garçons et des filles s’entraînaient côte à côte. Je n’avais jamais vu ça auparavant. Les soldats de l’armée du gouvernement étaient différents, plus âgés. C’était tellement impressionnant... Je ne pouvais plus attendre d’être là.
Cela a été comme une prise de conscience, de tous ces morts qui m’entourent, de tous les crimes commis. En Afrique, j’étais habitée par le
sentiment de vengeance. Tout cela m’a quitté car en venant en Europe, j’ai vu le prix de la vie.
Moi et d’autres enfants fûmes choisis pour former une unité de commando spéciale, ce qui nous permit enfin de participer aux réelles actions militaires. Je croyais encore qu’il s’agissait d’une sorte de jeu et trépignais d’impatience.
Le lendemain, nous apprîmes à nous mettre à l’abri et à attaquer à la baïonnette. Toutefois, comme l’AK-47 était plus grand que la plupart des enfants, ceux-ci s’exerçaient le plus souvent avec un morceau de bois.
Quand tu es dans l’armée, ton boss te dis quoi faire, quoi penser, ce qu’il faut ressentir. Jour après jour, c’est la même chose. Ici il faut penser par toi-même, prendre les décisions, apprendre, tout apprendre.
Je voulais aller aux États-Unis. Quand on m’a annoncé que le Danemark voulait bien de moi, j’ai eu peur que ce soit trop près de l’Afrique. Je ne connaissais pas ce pays.
Quand je me réveillai, je vis des enfants, petits et grands, marchant aux côtés d’un homme en uniforme militaire. … J’espérai jouer avec eux.
Dans l’armée, je devais sourire en saluant « yes Sir ». Maintenant quand je souris, je le sens. Je suis heureuse aussi de pouvoir pleurer.