Ingrid JONKER Poétesse de la rebellion sud-africaine (France Culture, 2007)
Cinquième émission de la série « Grandes traversées » diffusée le 27 juillet 2007 sur France Culture.
Ville fantôme…
Ville fantôme
La pluie est passée
vie lointaine et ville fantôme
de glands de colombes remplies d’aurore
mes mains étaient écureuils
vives furtives à l’affût
vie lointaine et ville fantôme
à travers tous tu es arrivé
avec un simple sourire
comme d’un long voyage
la pluie passée
s’est réchauffée sur ma peau
la pluie d’ocre et de fumée
portant le parfum de tes mains nettoyées
colombes tièdes et le pavot ouvert
de l’orange du ciel
/ Traduction de l’afrikaans Boris Hainaud,
L’enfant abattu par des soldats à Nyanga
L’enfant abattu par des soldats à Nyanga
L’enfant n’est pas mort
l’enfant lève les poings contre sa mère
qui crie Afrika ! crie l’odeur
de la liberté et du veld
dans les ghettos du cœur cerné
L’enfant lève les poings contre son père
dans la marche des générations
qui crie Afrika ! crie l’odeur
de la justice et du sang
dans les rues de sa fierté armée
L’enfant n’est pas mort ni à Langa ni à Nyanga
ni à Orlando ni à Sharpeville
ni au commissariat de Philippi
où il gît une balle dans la tête
L’enfant est l’ombre noire des soldats
en faction avec fusils blindés et matraques
l’enfant est de toutes les assemblées de toutes les lois
l’enfant regarde par les fenêtres des maisons et dans
le cœur des mères
l’enfant qui voulait simplement jouer au soleil à Nyanga
est partout
l’enfant devenu homme arpente toute l’Afrique
l’enfant devenu géant voyage dans le monde entier
Sans laissez-passer
/Traduction par Philippe Safavi
Tous les hommes ont une tête
Tous les hommes ont une tête
un corps
et deux jambes
ils essaient de te ressembler
*
Hier soir
hier soir dans tes bras
sous le fer à cheval de la lune
nous avons cueilli un trèfle
à quatre feuilles opportunes
aujourd'hui je me tiens
près de la poubelle dans le jardin
le coeur suspicieux
comme une poule qui picore du grain
le grain devient gravier
et la pente vient s'ouvrir
l'amour n'est rien d'autre
qu'un peu de désir
*
Je ne veux plus recevoir de visites
Je ne veux plus recevoir de visistes
ni tasses de thé café surtout pas d'eau-de-vie
je ne veux plus les entendre attendre leur courrier
je ne veux plus les entendre étendus les yeux grands ouverts alors que
les autres dorment vastes comme l'horizon autour de ses sourcils
et pourquoi voudrais-je connaître leurs problèmes toujours les mêmes
l'une sans ovaires l'autre une leucémie
l'enfant sans zizi et le vieillard
qui a déjà oublié qu'il était sourd
le caprice de la mort aux feux de signalisation
les gens vivant auprès de la mer comme au Sahara
les traîtres à la vie avec le visage de la mort
et de Dieu
je veux seulement être seule voyageant avec ma solitude
pour canne
et croire encore que je suis unique
L’enfant n’est pas mort ni à Langa ni à Nyanga
ni à Orlando ni à Sharpeville
ni au commissariat de Philippi
où il gît une balle dans la tête
[…]
l’enfant qui voulait simplement jouer au soleil à Nyanga est partout
l’enfant devenu homme arpente toute l’Afrique
l’enfant devenu géant voyage dans le monde entier
Sans laissez-passer.