| agirlinindia le 02 juin 2021
Ari retira le cache du hublot et vérifia les capteurs de mouvement extérieurs, comme chaque matin. L'odeur du café lyophilisé flottait dans l'air, accompagné par celle du pain grillé. Pris d'un doute, il inspecta ses réserves et constata avec dépit qu'il faudrait sous peu aller chaparder de quoi se nourrir, au supermarché.
Il contempla la nature exubérante par le hublot, la forêt, les hautes herbes, le léger vent ; le printemps qui revenait. Une multitude d'oiseaux devaient pépier. Régulièrement, il trouvait à son réveil plusieurs escargots collés à la vitre extérieure humide. Un soir, dernièrement, il avait aperçu une horde de cerfs insouciants, au milieu des arbres. Un couple de rapaces avait élu domicile tout là haut, perchés sur l'antenne-relai abandonnée. Il se régalait de leur envol. Tout vivait ici. Tous les êtres vivants. Sauf lui.
La perspective de devoir se risquer dehors le contrariait. A chaque fois, il devait lutter contre son engourdissement généralisé, se remettre à courir, à s'entraîner au tir, à vérifier tout son matériel. C'était risqué. Mais il en profiterait pour chaparder aussi à la pharmacie. Surtout des antibiotiques et des pastilles pour désinfecter l'eau. On ne savait jamais.
Quelques jours plus tard, au lever du jour, il déverrouilla la porte et s'aventura à l'extérieur. Par sécurité Ari laissa sa main posée en permanence sur son arme. Sa survie dépendait de la fiabilité de son matériel, de sa préparation, mais il restait aux abois. Il traversa la forêt, cette immense cathédrale verte, sur plusieurs kilomètres. Il craignait autant de croiser une bête sauvage qu'une présence humaine. La nature bruissait. Il n'entendait plus sa respiration, couverte par les cris d'animaux et d'insectes, sans prédateur humain pour leur nuire, désormais. Malgré la minutieuse préparation de cette équipée, il reconnaissait à peine son parcours, tant la végétation avait repoussé et repris ses droits. Quel soulagement lorsqu'il distingua une route fissurée, au loin. Il retint son impatience de se mettre à courir.
Après une heure de marche sur le goudron craquelé, un son métallique régulier parvint jusqu'à lui. Cela lui évoquait des plaques de tôles qui s'entrechoquaient. Une construction apparaissait au loin. Il reconnu vaguement la supérette décatie et blanchie d'où il avait réussi à extraire de la nourriture pour plusieurs semaines, la dernière fois, grâce à un caddie à peine rouillé qu'il avait retrouvé couché derrière le magasin. Quelle trouvaille !
Un grand panneau publicitaire incongru de voiture de luxe pendait à l'envers, presque décroché, et frappait sur un pylône, au gré des rafales de vent. Des touffes d'herbes sortaient de la dalle et même des fleurs ornaient le toit de la supérette. Il trouva amusant cette victoire finale de la nature, qui tranquillement, envahissait les recoins les plus fous des constructions abandonnées.
Un détail l'intrigua. La porte du magasin était grande ouverte. Il s'arma de courage et s'approcha, silencieusement, arme à la main. Il vérifia la présence du couteau le long de sa botte, rassembla toute sa concentration et entra. Les rayons presque vides étaient recouverts de poussière. Certaines bouteilles avaient explosé sous l'effet de la chaleur et répandaient à travers cet espace une odeur âcre. Traînaient encore ça et là des articles étranges qui n'avaient plus d'utilité : des produits de maquillage, des maillots de bains, des chaussures à hauts talons , ou encore des articles de plage. Au mur, une promotion pour un vin français haut de gamme. Et plus loin, des affiches de voyage vers Hong Kong et Singapour. Depuis longtemps, aucun avion ne volait plus....
Il entendit des voix humaines derrière un rayon. Des voleurs, comme lui . Une femme et un adolescent, qui se disputaient sur le choix des provisions les plus utiles à emporter. Il s'immobilisa, prêt à tirer.
Il comprit trop tard que sa présence avait été repérée. Une seconde plus tard, des pas décidés s'approchèrent et une main vigoureuse braqua une arme vers lui. Une femme, le crâne entièrement rasé, et aux traits creusés lui asséna : « t'approche pas! d'où tu viens ? ». Même s'il avait toujours envisagé la possibilité d'une mauvaise rencontre, Ari tremblait, les doigts serrés sur la crosse. Sa respiration s'accéléra. « T'es sourd ? » cria la jeune femme. « Réponds !! » Il déglutit et réussi à dire : « je vis... je vis à quelques kilomètres d'ici. Dans la forêt » « arrête de mentir ! », cria-t-elle. Ari se dit qu'elle dissimulait sa peur sous cette apparence de fureur. « Où sont les autres ? » « je suis seul » , réussit il à répondre. « T'approche pas. Alors comme ça, t'es seul ? … t'as réussi à survivre, seul ? », ricana la femme. Ari vit l'adolescent, grand, terrifié mais armé lui aussi, s'approcher derrière la femme. « J'ai pas été infecté, et je vis seul » « J'te crois pas. On survit pas seul ! .. et recule! », intima-t-elle. Ari baissa son arme, dépité. Il savait qu'il n'aurait pas le dessus. Il s'en voulait d'avoir quitté son havre. Il risquait gros à présent. Toutes ses précautions n'avaient servi à rien. Sa colère monta. Il ne put s'empêcher de lâcher un « merde !! » retentissant. « Je vis seul, dans un bunker aménagé et médicalisé » Il vit les yeux des deux voleurs s'écarquiller. La femme jeta un regard rapide au jeune. « Depuis quand ? » Ari répondit : « Depuis avril 2020 ».
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