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    Mahautbabelio le 01 juin 2021
    Bonjour à tous,


    Pour le défi du mois de juin, nous vous proposons de livrer un texte sur le thème du… Dehors. 


    Après deux ans de confinement-déconfinement-reconfinement, nous avons perdu la liberté du dehors. Alors que nous retrouvons le goût des verres en terrasse et des lieux culturels, la question demeure : qu’est-ce que le dehors signifie pour nous ? Est-ce un besoin, un plaisir, un droit ? Et surtout, qu'y a-t-il dehors ? La vérité ? Le dehors de soi, c’est les autres. Le dehors de la Terre, c’est l’univers. Mais qu'y a-t-il au-delà du dehors ? 


    Explorez les possibles d’une porte ouverte et offrez-nous un texte, qui, comme d’habitude, peut avoir la taille et la forme de votre choix. Vous avez jusqu’au 30 juin minuit pour nous soumettre votre texte en répondant ci-dessous. Le gagnant remportera un livre.


    Sortez vos plumes !

    karmax211 le 01 juin 2021
    Allez, j'ouvre le bal.



                                                                      J'ARRIVE !!!





    Marjorie, ma petite puce en porcelaine, si frêle et si fidèle compagne de ton homme qui se languit de toi... sais-tu...oh oui que tu le sais !!!... que ça va faire bientôt 13 mois 16 jours 7 heures et... attends, je regarde la montre Samsung Galaxy Watch que tu m'avais offerte après que je me fus décidé à lâcher mon club de Kick-boxing pour défouler mes nerfs plus “pacifiquement” comme tu disais en faisant du jogging...13 mois 16 jours 7 heures 28 minutes et 17 secondes très exactement que je suis confiné.
    Eh bien, depuis tout ce temps,t'ayant écrit une lettre tous les jours, y compris le dimanche et les jours fériés, je m'étonne que tu n'aies pas trouvé 5 minutes parmi les 592 988 minutes qui nous ont séparés... pour répondre au papa de Léa et de Nicolas...
    Certes, aide-soignante en EHPAD dans cette période covidienne n'a pas dû être une partie de plaisir tous les jours. Je sais que tu as pris des risques, que tu as fait partie de ces travailleurs de première ligne, de ces héros du quotidien que les Français ont applaudi lors de la première vague avant de les regarder se noyer en se demandant si l'eau était à la bonne température lors des vagues suivantes.
    Comme je te l'ai dit et répété, nous ici, tous les soirs avec des cuillères, nous avons martelé les fenêtres, espérant que vous nous entendriez. Et dis-toi bien que s'il y en a un qui frappait plus fort et plus longtemps que les autres en pensant à toi, c'était moi, mon petit sucre d'orge.
    Au passage, on continue à frapper presque tous les soirs...ici, on frappe... par habitude ; ça aide à faire passer le temps.
    Ah, ce fichu temps ! Tu ne peux pas t'imaginer comme les nuits sont longues. On a le temps de penser... pour sûr ! D'ailleurs, j'ai trouvé une occupation : je prie ! Oui, moi le mécréant, je suis devenu un ange de pitié et de pardon... une créature de Dieu, prête à tout moment à le servir au nom du Livre ! Tu m'as mal jugé... je suis l'agneau de Dieu, mais pas un agneau à méchoui, ma douce...
    Les journées aussi ont été longues, parfois elles se traînaient, mais il y avait les copains, Mouloud, Magyd, Souad et quelques autres. Ils ont appris à te connaître, je leur ai longuement parlé de toi ma gazelle. Ils ont hâte de te rencontrer et de faire de toi “une vraie femme”...
    Le boulot aussi m'a aidé à tuer le temps. Ils m'ont affecté à l'atelier de menuiserie. J'ai pu gagner un peu d'argent... heureusement ! Car comment aurais-je pu m'en sortir avec ce que tu ne m'envoyais pas... !!! Divorcé, divorcé, m'a dit l'avocat. Mais quoi divorcé... ! Ce que Dieu a uni, l'homme ne peut le désunir. Dis-toi bien mon ange, qu'entre nous, c'est à la vie à la mort !
    Pendant ces treize mois 16 jours et maintenant 8 heures, je ne suis sorti qu'une heure par jour, une malheureuse petite heure... et pas tous les jours. Il y a eu des fois où un malentendu m'a privé de cette heure de sortie... une mauvaise langue ou un voisin trop bavard à qui j'étais obligé d'expliquer avec mes poings que sa langue de vipère ne cracherait pas une deuxième fois.
    À propos de poings, j'ai pu reprendre la salle, et j'ai retrouvé le punch et le direct du gauche qui m'ont valu une certaine réputation et m'ont causé un tort que je ne m'explique pas. Fais en part à ton nouveau garde du corps... s'approcher de trop près de la femme d'un autre, c'est risqué...
    J'ai pu soulever de la fonte et mes muscles sont affûtés comme jamais.
    Si tu savais comme il me tarde de te serrer très fort dans mes bras. J'espère qu'on va faire la paix et qu'on va repartir sur de bonnes bases. Je ne t'en veux pas, moi, de m'avoir balancé aux flics pour quelques gestes d'humeur que j'ai pu avoir et dont tu dis qu'ils t'ont blessée. Toutes ces marques d'affection étaient les marques de mon amour à ma petite femme adorée. C'est ainsi que tu aurais dû les porter et c'est ainsi qu'ils auraient dû les voir. Tu ne sens pas ta force ! répétais-tu. Mais toi bébé, tu n'as pas encore pris la mesure de ta résistance !
    Dans une semaine, je serai enfin dehors... ne pensant qu'à toi, ne voulant être qu'auprès de toi pour te prouver toute la force de mon amour.
    Marjorie ma chérie, désormais je vais m'occuper de toi comme tu le mérites, et tu sais qu'aucun bracelet ne pourra jamais m'empêcher de serrer à m'en étouffer ta petite tête contre mon torse d'homme qui a compris qu'il ne pouvait plus s'autoriser à commettre une seconde fois la même erreur...
    Oui, dans une semaine je serai enfin dehors ! Et ma première visite sera pour toi.
    Je t'aime ma biquette.
    Ton Marcel...Ali le boxeur pour les potes.
    PS : tu recevras ce courrier par un de mes courriers... songe même pas à prévenir les keufs. Notre amour ne concerne que nous. Je regarde encore une fois la montre que tu m'as offerte et c'est les larmes aux yeux que je me dis que le compte à rebours a commencé... 6 jours 23 heures 18 minutes et onze secondes...
    mfrance le 01 juin 2021
    Belle ouverture de bal !

    J'espère pour Marjorie que durant ces treize mois, elle a trouvé le temps d'apprendre la boxe, la lutte, le karaté et le kick-boxing !
    karmax211 le 01 juin 2021
    Merci mfrance... oui, c'est le minimum minimorum confronté au maximum maximorum...
    SarM le 02 juin 2021
    Oui, belle ouverture ! Un texte très bien écrit et puissant.
    karmax211 le 02 juin 2021
    Bonjour SarM. Merci 
    JML38 le 02 juin 2021
    Bonjour,
    je me joins aux commentaires saluant cette belle ouverture de karmax211.
    karmax211 le 02 juin 2021
    Bonjour JML38. Merci 
    franceflamboyant le 02 juin 2021
    Patrick, au delà du dehors ?

    Patrick Dupond a disparu en mars 2021. Ce texte est une approche de ce qu'il fut : jeune prodige, brillant danseur, homme piégé, homme reconstruit, créateur riche en projets, artiste qui parfois se perdait dans d'innombrables difficultés... Dans la vie de Patrick, de nombreuses portes, ouvertes ou fermées. Une exposition manifeste et une recherche de l'ombre.
    Tentative pour parler de lui..


    Dedans : enfance et attente
    Le 14 mars 1959, il régnait dans l'appartement une ambiance de fête. Un enfant venait de naître, un petit garçon. Nicole était contente : l'accouchement n'avait pas posé de problème. Elle avait pu revenir chez elle assez vite. Un enfant ? Elle en voulait un bien sûr. François, non. Mais les hommes, on sait comment ça peut leur faire un choc de leur montrer un nouveau-né et de le dire : voilà, il est de toi ! Il s'y ferait. D'ailleurs, il avait l'air de prendre la chose plutôt bien. Sauf que rapidement, il avait fait sa valise. Tu laisses une adresse ? Oui, en fait non. Et c'était vraiment non. Mais l'enfant, lui, n'était pas atteint. Sa mère était son univers. Un danger intérieur ? Non, il n'y en avait pas. Il était Patrick, le fils de Nicole. Les premiers mois de sa vie, il n'avait su que cela.
    Paul s'était installé assez vite. Il ne fumait pas, ne montait pas le ton, se penchait sur le berceau, souriait. Pas d'hostilité, non, une sorte de curiosité et même d'acceptation. Il aimait depuis peu une femme qui avait un très jeune enfant. L'une étant indissociable de l'autre, il devait faire avec. Il le faisait. Paris, onzième arrondissement. Une rue simple, une enfance simple et modeste. Du salon à la chambre, peu de pas à faire. Moins de pas encore pour aller jusqu'à la salle de bain ou à la cuisine. Sa chambre était très petite. Pourtant Patrick aimait les grandes foulées, les mouvements amples, les sauts. Il était nerveux et adroit, son trop plein de vitalité ne trouvant que des limites dans ce petit intérieur. Il lui fallait aller dehors...
    Le football ? Paul trouvait la proposition géniale. Il l’emmènerait, promis, il surveillerait ses entraînements. Le judo ? Nicole approuvait. Voilà une discipline qui forgerait le caractère de son garçon et sculpterait son corps. Oui, le judo ! Patrick avait commencé le foot avant de se lancer dans le judo, sans abandonner le ballon. Mais ce n'était pas ça en fait. Cette fille, elle s'appelait comment déjà ? Natacha ? Nathalie ? Ils étaient copains d'école. Elle allait rejoindre sa grande sœur à la danse. La barre, les étirements, les pliés, les cheveux en arrière, le port de tête, le corps soumis, sollicité, discipliné. Oui, la danse classique. Ce serait ça, son en-dehors.
    franceflamboyant le 02 juin 2021
    Patrick, au delà du dehors ?


    Dehors : apprentissage, accomplissement, gloire.
    Ce devait être en 1966 ou 67. Nicole et Paul avaient rencontré par hasard lors d'un gala de danse où Patrick se démultipliait, Tessa Beaumont et Max Bozzoni. Il avait été danseur à l'Opéra de Paris. Elle ne l'avait pas quitté. Patrick était à suivre. Ils lui donneraient des cours et Claude Bessy, alors chorégraphe, aussi. Les cours de danse avec eux, c'était son en dehors. Il devait pousser la porte de l'appartement familial pour s'y rendre puis celle d'un studio. On lui parler de formation à l'école de l'Opéra, de concours à passer, d'une carrière qui se dessinerait. Combien de portes fermées encore ? Combien de mystères derrière chacune d'elles ? Il les découvriraient car ces portes, il saurait faire en sorte qu'elles s'ouvrent d'elles mêmes...D'ailleurs, en 1969, à l'âge de dix ans, il intégrerait l'opéra de Paris. Il aurait réussi aux épreuves de sélection de la redoutable école. Des années durant, il s'y formerait sans jamais cesser les cours avec Max Bozzoni.
    Cette période de sa vie : une immense respiration, un intense engouement. Qu'est-ce qu'il y a dans la danse ? La ligne, le mouvement, le grâce, la beauté et la rage. Qu'est-ce qu'il y a derrière elle ? Il devinait bien des ombres mais ne s'en inquiétait pas. Sur scène, les corps des danseurs se prolongeaient grâce à la magie des éclairages. Pourquoi se soucier de ces ombres portées qui semblaient chercher des issues autres au fond de la scène ? La seule porte qui devait encore s'ouvrir était celle qui le mettrait en pleine lumière. Un concours de danse très réputé ! Tiens ! La Bulgarie, Varna, un concours international où on se pressait. Patrick, beau et fier, avait choisi la variation d'Albrecht dans le second acte de Giselle, la variation de Basilio dans le ballet Don Quichotte et la célèbre variation du Corsaire sans compter, pour conclure, une brève chorégraphie personnelle. Un triomphe, des gens debout, des bravi...Il avait compris, il savait. Ce qui était en dehors, ce qui se déroulait devant lui quand la porte était grande ouverte, il le voyait désormais : Coryphée, Premier danseur, danseur étoile. Les grands rôles du répertoire classique dont celui de Siegfried dans le Lac des cygnes et les chorégraphes contemporains.
    C'est ce que je voulais ? Oui. Moderne et intemporel, jeune, si jeune et déjà inscrit dans l'histoire de la danse ? Oui, bien sûr . Maurice Béjart, Alvin Ailey, Rudolph Noureyev, John Neumieier, Twila Tharp, Roland Petit. Je les danse tous et ils m'aiment. Et les plus grands danseurs, je les côtoie. Je tourne dans des films, je suis Nijinsky dans un feuilleton à succès, Les Dames de la Côte et je tourne dans un autre film où je rencontre l'une des filles du danseur russe. On me donne Nancy comme corps de ballet puis on me donne Paris. Je ne suis pas enfermé. Je suis dehors. Il n'y a rien à craindre d'une porte fermée que je ne pourrais ouvrir. Moi, j'ai créé une troupe, Patrick Dupond et ses stars, on fait le tour du monde.
    Tout circule, tout vit, tout est là. Sur scène, nous nous élevons et quand nous retombons, les applaudissements nous entourent.
    franceflamboyant le 02 juin 2021
    Patrick, au delà du dehors ?


    Dedans : révélations, accusations, procès, perdition.
    Rien ne changerait jamais, enfin si car la carrière d'un danseur classique n'est pas si longue. Patrick pensait qu'il lui fallait encore être dehors. La gloire est grisante et aveuglante : vrai. Il faut s'en détourner : faux et stupide. Un engagement dans l'univers strict du ballet classique est incompatible avec la frivolité ? Mais non ! D'ailleurs, c'est quoi, la frivolité ? Il avait tourné pour la télévision et le cinéma et on lui proposait d'être jury à Cannes. Une belle proposition, ça. Il avait dit oui.
    Il rêvait, oui, il rêvait. La porte de l'Opéra de Paris se fermait. Licencié. Oui, licencié. Il allait les attaquer en justice, il allait leur en faire voir...Non mais ! Nicole le soutenait, mère indéfectible et Paul. Renvoyé, accusé. Et confronté à ce passé lointain du onzième arrondissement où il avait passé les premières années de sa vie. En Normandie, il avait séjourné quelques jours avec sa mère dans une ville d'eau. Elle avait parlé à un homme puis tout naturellement elle lui avait dit : en fait c'est ton père. Il ne s'est jamais manifesté comme tu l'as vu alors je ne t'en ai pas parlé. Oui, je sais, il aurait pu te parler, mais bon, tu as trente huit ans... Il faut vivre avec cela. » Vivre ? Dedans ? Dehors ? Porte fermée ? Ouverte ?
    Dedans. Fermé.
    Il avait eu un très grave accident de voiture, un de ceux dont on ne comprend pas, à la vision des débris du véhicule, comment le conducteur peut être encore de ce monde. Corps balayé, saccagé, visage fracassé. Derrière la porte, il y avait ça, cet homme qui était son père et ne l'avait jamais contacté, ce renvoi insultant et ce procès qui traînerait et la salle d'opération, la blancheur des murs d'une chambre de clinique et le silence.
    Alors, tu feras comment maintenant ?
    Tes sauts vers les étoiles, tes arabesques, tes entrechats, ta beauté, ton acharnement à danser ? Point final. Regarde, on t'a claqué la porte au nez. Il n'y a plus d'en dehors. Tu es toi saccagé. Tu es dedans.
    Mais il y avait ceux qui l'avaient repéré et soutenu. Il y avait Max Bozzoni. Le professeur des premiers temps voulait reprendre du service : danser de nouveau, tu le peux mais il te faudra vouloir. Patrick écouterait et finirait par remonter sur scènes, distançant le dépression, l'alcoolisme et la douleur physique. De nouveau, il serait là.
    franceflamboyant le 02 juin 2021
    Patrick, au delà du dehors ?

    Dehors : victoires et réalisations.
    L'Opéra de Paris, il avait réussi à le faire plier. Son Licenciement était sans objet. C'était une victoire qu'il avait savouré d'autant que revenu au devant de la scène, il avait joué dans une comédie musicale, L'Air de Paris,où on l'avait applaudi. Il travaillait à Soissons avec sa compagne où ils s'occupaient d'une compagnie de danse et il paradait dans des émissions de télévision dont, jeune homme plein d'espoirs, il n'aurait pas aimé s'approcher. Danse avec les stars. Il y souriait, homme très public, mondain même et attirait les regards. Oui, bien sûr, il pouvait justifier sa présence. Il voulait fonder à Bordeaux une école internationale de danse proposant un cursus de trois ans à des jeunes de dix à vingt ans. C'était un énorme projet, il fallait beaucoup d'argent et puis quoi, il attirait l'attention en se montrant sur le petit écran. Il aimait, il vivait, il dansait encore, il regardait surtout danser et conseillait. Ses propos pouvaient agacer, choquer ou ravir. Il les revendiquait tous.
    Non, ce centre chorégraphique...Une apothéose...Une...Une...
    En dedans ? En dehors ?
    En dehors ! La vie et son mouvement, les pas, les sauts, la danse, la danse.
    franceflamboyant le 02 juin 2021
    Patrick, au delà du dehors

    En dedans.
    Le mal qui courait. Un cancer foudroyant. La mort brutale et médiatique.

    En dehors.
    Les hommages compassés.

    En dedans. Ce qu'il avait le plus aimé c'était cette ligne parfaite que parfois il avait captée. Ca n'avait pas été souvent mais il avait été immensément heureux, heureux pour lui-même et heureux en lui-même. Une façon de capter l'univers ? Peut être bien. Une façon d'être au plus profond de l'être, oui, certainement.
    Certainement.
    agirlinindia le 02 juin 2021



    Ari retira le cache du hublot et vérifia les capteurs de mouvement extérieurs, comme chaque matin. L'odeur du café lyophilisé flottait dans l'air, accompagné par celle du pain grillé. Pris d'un doute, il inspecta ses réserves et constata avec dépit qu'il faudrait sous peu aller chaparder de quoi se nourrir, au supermarché.

    Il contempla la nature exubérante par le hublot, la forêt, les hautes herbes, le léger vent ; le printemps qui revenait. Une multitude d'oiseaux devaient pépier. Régulièrement, il trouvait à son réveil plusieurs escargots collés à la vitre extérieure humide. Un soir, dernièrement, il avait aperçu une horde de cerfs insouciants, au milieu des arbres. Un couple de rapaces avait élu domicile tout là haut, perchés sur l'antenne-relai abandonnée. Il se régalait de leur envol. Tout vivait ici. Tous les êtres vivants. Sauf lui.


    La perspective de devoir se risquer dehors le contrariait. A chaque fois, il devait lutter contre son engourdissement généralisé, se remettre à courir, à s'entraîner au tir, à vérifier tout son matériel. C'était risqué. Mais il en profiterait pour chaparder aussi à la pharmacie. Surtout des antibiotiques et des pastilles pour désinfecter l'eau. On ne savait jamais.

    Quelques jours plus tard, au lever du jour, il déverrouilla la porte et s'aventura à l'extérieur. Par sécurité Ari laissa sa main posée en permanence sur son arme. Sa survie dépendait de la fiabilité de son matériel, de sa préparation, mais il restait aux abois. Il traversa la forêt, cette immense cathédrale verte, sur plusieurs kilomètres. Il craignait autant de croiser une bête sauvage qu'une présence humaine. La nature bruissait. Il n'entendait plus sa respiration, couverte par les cris d'animaux et d'insectes, sans prédateur humain pour leur nuire, désormais. Malgré la minutieuse préparation de cette équipée, il reconnaissait à peine son parcours, tant la végétation avait repoussé et repris ses droits. Quel soulagement lorsqu'il distingua une route fissurée, au loin. Il retint son impatience de se mettre à courir.


    Après une heure de marche sur le goudron craquelé, un son métallique régulier parvint jusqu'à lui. Cela lui évoquait des plaques de tôles qui s'entrechoquaient. Une construction apparaissait au loin. Il reconnu vaguement la supérette décatie et blanchie d'où il avait réussi à extraire de la nourriture pour plusieurs semaines, la dernière fois, grâce à un caddie à peine rouillé qu'il avait retrouvé couché derrière le magasin. Quelle trouvaille !


    Un grand panneau publicitaire incongru de voiture de luxe pendait à l'envers, presque décroché, et frappait sur un pylône, au gré des rafales de vent. Des touffes d'herbes sortaient de la dalle et même des fleurs ornaient le toit de la supérette. Il trouva amusant cette victoire finale de la nature, qui tranquillement, envahissait les recoins les plus fous des constructions abandonnées.

    Un détail l'intrigua. La porte du magasin était grande ouverte. Il s'arma de courage et s'approcha, silencieusement, arme à la main. Il vérifia la présence du couteau le long de sa botte, rassembla toute sa concentration et entra. Les rayons presque vides étaient recouverts de poussière. Certaines bouteilles avaient explosé sous l'effet de la chaleur et répandaient à travers cet espace une odeur âcre. Traînaient encore ça et là des articles étranges qui n'avaient plus d'utilité : des produits de maquillage, des maillots de bains, des chaussures à hauts talons , ou encore des articles de plage. Au mur, une promotion pour un vin français haut de gamme. Et plus loin, des affiches de voyage vers Hong Kong et Singapour. Depuis longtemps, aucun avion ne volait plus....

    Il entendit des voix humaines derrière un rayon. Des voleurs, comme lui . Une femme et un adolescent, qui se disputaient sur le choix des provisions les plus utiles à emporter. Il s'immobilisa, prêt à tirer.


    Il comprit trop tard que sa présence avait été repérée. Une seconde plus tard, des pas décidés s'approchèrent et une main vigoureuse braqua une arme vers lui. Une femme, le crâne entièrement rasé, et aux traits creusés lui asséna :
    « t'approche pas! d'où tu viens ? ».
    Même s'il avait toujours envisagé la possibilité d'une mauvaise rencontre, Ari tremblait, les doigts serrés sur la crosse. Sa respiration s'accéléra.
    « T'es sourd ? » cria la jeune femme. « Réponds !! »
    Il déglutit et réussi à dire : « je vis... je vis à quelques kilomètres d'ici. Dans la forêt »
    « arrête de mentir ! », cria-t-elle. Ari se dit qu'elle dissimulait sa peur sous cette apparence de fureur. « Où sont les autres ? »
    « je suis seul » , réussit il à répondre.
    « T'approche pas. Alors comme ça, t'es seul ? … t'as réussi à survivre, seul ? », ricana la femme.
    Ari vit l'adolescent, grand, terrifié mais armé lui aussi, s'approcher derrière la femme.
    « J'ai pas été infecté, et je vis seul » 
    « J'te crois pas. On survit pas seul ! .. et recule! », intima-t-elle.
    Ari baissa son arme, dépité. Il savait qu'il n'aurait pas le dessus. Il s'en voulait d'avoir quitté son havre. Il risquait gros à présent. Toutes ses précautions n'avaient servi à rien.
    Sa colère monta. Il ne put s'empêcher de lâcher un « merde !! » retentissant.
    « Je vis seul, dans un bunker aménagé et médicalisé »
    Il vit les yeux des deux voleurs s'écarquiller. La femme jeta un regard rapide au jeune.
    « Depuis quand ? »
    Ari répondit : « Depuis avril 2020 ».


     
    hseb72 le 02 juin 2021
    mfrance a dit :

    Belle ouverture de bal !

    J'espère pour Marjorie que durant ces treize mois, elle a trouvé le temps d'apprendre la boxe, la lutte, le karaté et le kick-boxing !


    M'est avis qu'elle a mis à profit ces treize mois pour soit mettre les voiles, soit se munir d'un Beretta 45.

    Vos textes me glacent le sang. Mes instincts primaires de peur refont surface à ces lectures. Brrrrr.
    karmax211 le 02 juin 2021
    Bonjour hseb72. Il y a une formule que j'aime et qui dit qu'écrire, c'est avoir les mains sales. Cela étant si vous m'avez lu depuis que je participe à ce défi mensuel... ça doit dater d'octobre ou de novembre dernier, j'ai écrit aussi des textes de pur délire... rien que pour le fun. Je ne choisis pas mes textes. Lorsqu'un thème est proposé, j'attends que mon cerveau me propose une association et j'y vais 
    SarM le 03 juin 2021
    La suite agirlinindia   !!! ^^
    Sflagg le 07 juin 2021
    Salut !

    Bon, je me suis un peu planté, je suis resté sur l'idiée de porte ouverte, j'ai complètement zappé le sujet dehors. Donc mon texte est largement hors sujet je pense, mais comme il a été fait pour ici, tant pis, je le mets quand même.

    Aux portes de la folie     (07/06/21)

    Il faut que l'on garde toute son attention
    Lorsque l'on fait de la natation,
    Si l'on ne veut pas risquer la noyade.
    Il faut avoir de l'attention
    Pour éviter la tension,
    Quand on lit la pléiade.
    J'enfonce une porte.
    Ce qu'il y a derrière ?
    Peu m'importe !
    Ce n'est pas la première.
    Je fais sauter la chaine
    De la prochaine.
    Sur la suivante, en chêne
    Muni d'une hache, je me déchaine.
    Sur celle-ci
    Ce fut à la scie.
    Sur celle-là
    Au coutelas.
    J'enfonce des portes ouvertes
    Sur mes idées noires, ou vertes.
    Je crochète celles qui sont blindées,
    Je ne suis pas complètement cinglé.
    Même si parfois je m'emporte
    Quand me résiste une de ces portes.
    Puis, quand j'en ai assez,
    Je m'enferme derrière une matelassée,
    Pour être sûr de ne pouvoir la casser,
    Et ainsi nager comme un cétacé
    Dans ma folie,
    Dans mon faux lit.
    Alors fini la tension.
    Plus besoin de l'attention.
    Je ne risque plus la noyade.
    Je peux replonger dans la pléiade.

    S.Flagg !!

    Bonne chance à tous !
    agirlinindia le 07 juin 2021
    j'aime ta poésie Sflagg.
    franceflamboyant le 07 juin 2021
    Texte surprenant et bien écrit, agirlinindia !

    Sflagg: pas si à côté que cela!

    Le mien n'est pas tellement dans les clous mais parler du confinement et autre, je n'ai pas envie.





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