Son âme est certainement restée sans souillure, au milieu des indignes contacts de la vie. Il n'était pas non plus dépourvu de cette bonhomie naïve et enfantine qu'on est toujours sûr de rencontrer chez les hommes de génie, quoiqu'il ne la laissât pas voir au premier venu...
Il n'était pas laid. Nous autres hommes, nous ne pouvons guère plus que vous répondre affirmativement à une pareille question sur quelqu'un de notre sexe. C'était un être svelte et élancé, ayant des mouvements gracieux et presque coquets; toujours tiré à quatre épingles; figure régulière, allongée, rosâtre; cheveux blond clair presque dorés, frisés à boucles légères; front noble, élevé, très-élevé ; nez droit, yeux pâles et bleus, bouche bien proportionnée, menton rond. Ses traits avaient quelque chose de vague et sans caractère, comme le lait, et cette face laiteuse tournait quelquefois à une expression aigre-douce de tristesse.
...C'est un préjugé de croire que le génie doit mourir de bonne heure. Je crois qu'on a assigné l'espace compris entre trente et trente-cinq ans comme l'époque la plus pernicieuse pour le génie. Que de fois j'ai plaisanté et taquiné à ce sujet le pauvre Bellini en lui prédisant qu'en sa qualité de génie, il devait mourir bientôt, parce qu'il atteignait l'âge critique! Chose étrange ! Malgré notre ton de gaieté, cette prophétie lui faisait éprouver un trouble involontaire : il m'appelait son jettatore et ne manquait jamais de faire le signe conjurateur....