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Critique de viou1108_aka_voyagesaufildespages


"Peur" et "solitude" sont des mots qui reviennent très souvent dans ce roman. Et "amour", celui avec un grand A. Comment faire en sorte que les deux premiers n'empêchent pas le troisième ? C'est la question que la narratrice ne se pose même pas, en tout cas au début du roman. Femme, jeune, turque, voilà deux ans que cette chercheuse en physique nucléaire est parvenue à se faire engager dans le labo le plus prestigieux d'Europe. A se faire enfermer, faudrait-il plutôt dire. Forçats de la science, elle-même et ses collègues, sous pression constante, n'ont aucune vie en dehors de la recherche nucléaire. La différence, c'est que la narratrice, elle, en est consciente. Dans ce milieu machiste et étriqué, elle vit en permanence au bord du gouffre des difficultés financières, de l'isolement et de la dépression. Parfois elle y tombe. Un été, elle s'inscrit à un séminaire organisé sur l'île de Sainte-Croix dans les Caraïbes. Pendant les rares moments libres, elle s'aventure seule sur la plage, dangereuse pour les touristes blancs dès la nuit tombée. Elle y rencontre Tony, Jamaïcain, pêcheur de coquillages au physique ingrat, couturé de cicatrices. Leurs souffrances s'attirent et se reconnaissent. D'abord terrifiée à l'idée qu'il pourrait la tuer, elle fait peu à peu confiance à cet homme étrange, meurtri, qui lui parle avec des mots à la fois très simples et très profonds. Il se crée entre ces deux êtres une relation très pure, loin des calculs et du cynisme. Elle qui avait oublié qu'elle était une femme se redécouvre belle, désirable, aimable (avec un grand A). Elle qui a tant souffert dans sa jeunesse de la violence de la société turque, misogyne et répressive, redécouvre la liberté d'être elle-même, et le respect.
Dit comme ça, on dirait une improbable histoire de belle et de bête à l'eau de rose. Mais la chaleur torride des tropiques, l'insécurité sur l'île, le rhum et la marijuana en font tout autre chose. C'est l'histoire – certes improbable – d'une rencontre foudroyante, incandescente. Quasiment une révélation pour cette jeune femme habitée depuis si longtemps de pulsions suicidaires, et dont les dernières bribes d'élan vital vont se renouer sous le soleil de feu des Caraïbes. Une relation âpre, franche et ambiguë, d'amour ou d'amitié, entre une femme éprise de liberté mais enfermée dans sa carapace de peur et d'intellect, et un homme proche de la nature, dont la vie est émaillée de violences. Sur fond de racisme Blancs vs Noirs, la jeune Turque, étonnée d'être considérée comme Blanche, est extirpée des abysses de son mal-être par un pêcheur rasta, et chemine vers la sortie de sa coquille, non sans quelques écorchures. L'amour, la peur, la mort, la douleur, la passion, la tristesse, mais au bout du tunnel, la vie, l'espoir, peut-être.
Premier roman (largement autobiographique, paraît-il) d'Asli Erdogan, ce livre parle d'authenticité, d'intérêt pour le genre humain, de force et de courage. Poétique, flamboyant, ensorcelant, déchirant, je n'en ressors pas indemne. Ce portrait de femme est d'une puissance folle.
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