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Critique de VACHARDTUAPIED


Sao van di est un roman qui raconte l'amour dans la cité de Luang Prabang. Une fresque des comportements et des mentalités populaires laotiennes à travers l'histoire rapproche la belle Sao van di du jeune Kao Kome Sène, le joueur de khèn qui lui déclare son amour par des couplets poétiques, le soir à la pagode, le visage dissimulé par un tissu de coton tendu entre les groupes de pou saos aux cheveux parés de fleurs qui répondent effrontément aux déclarations des porc bans.
Une idylle au Laos contée avec un exotisme trop recherché, parfois même prétentieux, et où des scènes d'une crudité pornographique se mêlent à plaisir au lyrisme débordant d'une imagination vagabonde. Les amours de Sao-Van-Di sont le prétexte d'une évocation de ces contrées lointaines dont, — si ce n'est pas le talent sobre d'un Loti qui nous les dépeint, — nous préférons trouver la description exacte dans les récits de voyages. Et M. Ajalbert, qui a du talent, aurait dû s'en tenir à de petits tableaux très frais et très colorés qui auraient gagné à ne pas servir de cadre à une trame de roman assez peu intéressante. Ou bien il aurait pu mettre moins de temps à nous conter que la jolie Sao-Van-Di aima Kao-Som Sène jusqu'à se donner toute à lui un soir de volupté. Il a écrit en poète plutôt qu'en romancier; mais sa prose, pour être agréablement ornementée en certaines pages descriptives, s'encombre par ailleurs de figures dont la recherche nous fatigue. Dans ce roman, le lecteur doit recourir à un lexique sino-français pour comprendre; il porte en appendice l'énumération bibliographique des sources où l'auteur a consciencieusement puisé pour la description du pays et des moeurs, et nous semble revêtir une forme trop documentée et trop aride pour ce genre d'ouvrage. Pays curieux, j'en conviens, moeurs non moins curieuses, souvent vicieuses: l'auteur se plaît assez à en décrire la brutale réalité. En somme, il y a là des éléments de premier ordre, mais pas une oeuvre, et M. Ajalbert aurait cependant pu nous en donner une. C'est d'autant plus regrettable.Il convient de signaler particulièrement cette oeuvre parce qu'en outre de ses brillants mérites, elle marque un genre nouveau dans l'exotisme contemporain; et, sans expérience de la réalité coloniale, des critiques parisiens l'ont posé comme modèle du nouvel exotisme impersonnel. M. Jean Ajalbert, romancier réaliste parisien très justement apprécié, part pour l'Indo-Chine: le pays le plus neuf qui s'y offre a lui (encore que touché par la civilisation française) est le Laos, et il le prend pour lieu d'un roman de moeurs vierges. Or, il y a peu de civilisations plus vieilles, et nombre de paysans français sont plus ingénus que ces bouddhistes. D'autre part, n'ayant fait que traverser le Laos en quelques excursions, l'auteur en connaît seulement le côté extérieur, comme peut le sentir un parisien et littérateur, cela est visible; et on ne peut écrire sur un pays et une race que lorsqu'on en a pénétré l'intimité; très intelligent, M. Ajalbert, pour donner la couleur locale, y suppléa en découpant avec goût des images dans des paravents japonais et des poésies dans des anthologies, en décalquant finement les personnages des légendes et récits, souvent anciens: c'est comme si on voulait écrire un roman français en mettant dans la bouche des personnages comme langue parlée des phrases de chanson: « J'aime mieux, ma mie, o gué, etc. » ou les comparaisons métaphoriques du Roman de la rose et de Victor Hugo mêlées. Il en résulte que, malgré tout le talent délicat et fort qu'y a dépensé l'auteur, le roman est faux, bien que la couleur locale soit juste. C'est un peu une idylle à la Bernardin où Paul et Virginie sont habillés en costumes laotiens: Kao Kom Sène aime Sao van Di, qui repousse à cause de lui une sorte de quadragénaire riche; il est obligé de la quitter pour un voyage commercial au cours duquel il résiste aux tentations; cependant elle lui reste fidèle jusqu'au retour, où ils s'accordent; après une épidémie, ils s'épousent avec ingénuité. Voulant faire un roman de moeurs vierges, Ajalbert a écrit une idylle toute française: il n'a pas analysé avec la profondeur de Claudel dans ses admirables Connaissances de l'Est le génie asiatique, l'amour laotien : il ne nous en a pas fait sentir le goût essentiel. Loti, quoi qu'on ait dit, est beaucoup plus profond, plus vrai que lui. Mais comme c'est un écrivain avisé, artiste, honnête, il a écrit une oeuvre ingénieuse, savoureuse, fort piquante, parsemée d'images brillantes et neuves, chaude d'un éclat doré, qui nous donne le désir du pays, un sentiment théâtral très décoratif des paysages, des aperçus suggestifs sur les moeurs et la littérature laotiennes, qui nous rend puissamment le côté extérieur de la civilisation et de la nature. Plus album que roman, c'est un livre infiniment intéressant, qui mérite d'être aimé, cet dont la lecture enrichira l'imagination française.


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