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Critique de kielosa


Lorsque l'histoire démarre, l'héroïne du roman Khadija, a 13 ans et elle raconte dans son journal combien la vie est rude, dure et monotone depuis que son père est mort dans un accident de travail. Il est vrai que dans son village du Daghestan en Ciscaucasie la vie quotidienne a une allure carrément médiévale. Les termes qui reviennent le plus souvent dans son journal sont "Ourouss" pour désigner les Russes qui font la guerre à Grozny, 150 km plus au nord, et "Shaytan" pour qualifier les interdits nombreux qui frappent une jeune musulmane dans ce coin reculé du globe.
Remarquons que la môme porte un prénom illustre : celui de la femme la plus riche de la Mecque, que le prophète Mahomet épousa à ses 25 ans. Ce qui est virtuellement à l'opposé de sa propre pénible existence. Avec des plats qui, hormis peut-être les pelmeni (espèce de ravioli de Sibérie), sont loin des raffinements de la cuisine française.

À la mort de sa mère, une grand-tante prend pitié d'elle et héberge Khadija chez elle dans la capitale de la république, où elle l'inscrit à l'université, faculté des langues. Et bien que Makhatchkala ne ressemble en rien à Paris bien sûr, notre héroïne est éblouie par les lumières, les vêtements, les bâtiments, les voitures étrangères, en un mot, le luxe inouï. Ses études ne l'enthousiasment guère, mais les examens sont payés par sa grand-tante dont le mari est un haut officier de police.

À la fac, elle rencontre d'autres jeunes et se lie d'amitié avec certaines de ses co-étudiantes et certains co-étudiants l'observent avec intérêt. Pourtant elle continue de rêver du beau garçon, fils d'un général puissant et richissime, qu'elle a vu une fois dans son bled. Seulement le dénommé Makhatch Kazibikov, qui est inscrit à la faculté de droit, est fiancé à la fille d'un autre richard. Mais notre Khadija garde espoir, envers et contre tout, et prie Allah. Bien que le titre de l'ouvrage laisse supposer que tout ça finira mal, je crois qu'il me faut impérativement arrêter mon résumé ici, pour ne pas gêner les futurs lecteurs.

En tant que Belge, je ne peux m'empêcher de comparer le sort de Khadija Khassanova (sic) avec celui de ma jeune compatriote, Muriel Degauque, tuée lors d'un attentat-suicide sur un convoi militaire américain en Irak en 2005. À ce propos je recommande vivement l'ouvrage de Chris de Stoop : "La guerre sainte de Muriel : le récit d'une kamikaze occidentale". L'auteur, un de nos meilleurs journalistes d'investigation, y décrit minutieusement le processus qui a amené cette femme de 38 ans, de Charleroi, à aller se faire massacrer, au nom de l'islam, à 50 km de Bagdad !

Et c'est justement dans, une version romanesque, qui porte à nu un processus similaire conduisant à un aboutissement fatal, que l'oeuvre de Marina Akhmedova est réussie. Elle illustre avec précision comment une société fraîchement libérée du joug communiste, tombe entre les mains d'une caste foncièrement corrompue et criminelle, qui engendre une radicalisation des rapports humains et une fanatisation religieuse se soldant par une rébellion ouverte avec répression brutale et actions terroristes.

La jeune Marina Akhmedova passe pour certains critiques littéraires notamment en Angleterre et en Italie comme l'étoile montante au firmament russe, bien que sa percée n'y soit pas évidente. En effet, en Ukraine ses livres sont proscrits et, en août dernier, frappés d'une interdiction officielle d'importation. En Russie même, son reportage "Krokodil" sur les drogués de Iekaterinbourg a été formellement interdit par les autorités. Elle est surtout connue comme collaboratrice du magazine populaire "Russky Reporter" pour ses articles sur des sujets sociaux et culturels. À part "Khadija : le journal d'une kamikaze" (en russe : dnevnik smertnitsy), elle est également l'auteure d'un ouvrage dont le titre pourrait être traduit par : Journal d'une femme tchétchène et un autre : Leçons ukrainiennes (ma traduction provisoire).

Physiquement l'ouvrage est d'une rare qualité : relié, avec caractères d'imprimerie agréables à la vue, un marque-page cousu au livre, 2 belles gravures artistiques d'Élie Colistro, et comme cerise sur le gâteau : une préface d'Yasmina Khadra. Bravo Éditions AST-ASTREL, Louison !
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