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Critique de boubou10588


Chronique vidéo https://www.youtube.com/watch?v=lztcEbM-yOk

De quoi ça parle ? Amanda et Clay vont dans une maison de campagne qu'ils ont loué pour passer les vacances avec leurs enfants adolescents. Cette villa de luxe a tout pour leur promettre un repos digne de ce nom : tranquillité, à la lisière d'un bois d'où ils peuvent constater le calme de la nature, une piscine et un jacuzzi. C'était son compter cette nuit où les propriétaires, G.H et Ruth viennent frapper à leur porte
Ce que j'en ai pensé ?
En premier lieu, j'ai cru qu'il s'agissait d'un huis-clos à la Carnage, où des adultes qui ne se connaissent pas vont s'affronter et appuyer là où ça fait mal. En effet, le couple blanc de la classe moyenne a d'abord une réaction de méfiance envers le couple noir qui vient en pleine nuit frapper à la porte. On voit d'ailleurs que la réaction, notamment celle d'Amanda évoque ce racisme ordinaire qui ronge l'Amérique — elle se cramponne au téléphone, pense que G.H va la violer elle ou sa fille, bref, elle tout de la Karen, ce stéréotype qui a commencé à faire parler de lui sur des sites comme 4chan ou 9gag.
Wikipédia la décrit ainsi : une femme blanche d'âge mur, de classe moyenne qui s'insurge de tout, veut « parler au directeur » et perpétue un racisme systémique revendiquant des droits supérieurs aux autres. Ce terme a explosé en 2020, quand une femme a été filmée en train de menacer un homme noir et de mimer un appel à la police parce qu'il lui avait demandé d'attacher son chien.
Son mari, lui, correspond à l'homme d'âge moyen dépassé et falot, quand les enfants ont l'air un peu amorphes, biberonnés aux écrans et surprotégés face aux parents. Ce qui était assez étonnant, et qu'on a pas l'habitude de lire, c'est qu'il sont souvent représentés par leur couleur de peau. L'auteur insiste sur les nuances de rose de l'épiderme, si bien que j'ai trouvé cela assez étrange pour le souligner. Et à force d'y réfléchir, j'en suis venue à la conclusion que c'est surtout parce qu'on n'a pas l'habitude de ces représentations de personnages blancs, alors que quand ce sont des personnes non blanches, c'est assez fréquent qu'ils restent à l'état de corps : il n'est pas rare de lire peau ébène pour une personne noire, ou cheveux de jais pour un asiatique — d'insister sur leur non-conformité au standards habituels d'un personnage important

Donc il y a une distanciation avec cette famille dès le début, qui représente tout ce que l'on peut abhorrer dans une famille de la middle class américaine : le souci des apparences, la mauvaise conscience, l'autosatisfaction (bien mis en valeur littérairement au moment où Amanda fait ses courses, et où chaque produit est choisi avec soin selon ce qu'il va refléter d'elle.)
« Elle acheta de ces crackers chic que vous servez quand vous avez des invités, et aussi des Ritz, que tout le monde préfère, du cheddar blanc et friable, du houmous bien aillé […] et trois pots de glace Ben&Jerry politiquement irréprochables ».
Mais face à eux, et si cela avait été un de ces fameux romans à thèse que je déteste, on aurait eu une famille noire exemplaire — ce qui n'est heureusement pas le cas. En effet, G.H et Ruth sont des bourgeois, voire des grand bourgeois — et ce qui au départ adoucit la réaction de l'autre couple, va finalement accentuer les tensions. Car cela va les rendre assez froid, assez insensible face à la douleur et à la peur des autres. (Même si je dois préciser que dans les deux cas, la catastrophe va avoir tendance à faire ressortir le meilleur d'eux-mêmes, à les rendre solidaires alors que d'autres personnages comme Danny (le mentor encore plus riche de GH) vont plutôt au contraire se refermer sur eux-mêmes.) Quoiqu'il en soit, eux non plus ne sont pas appréciables — ils sont mêmes au début carrément imbuvables — GH ne fait que parler de son boulot, vantant la méritocratie et l'American dream à Amanda et Clay, dans un dialogue de sourds assez savoureux.
En fait, on va voir comme l'argent retourne les dominations habituelles, comme celle de la couleur de peau, et on va voir surtout comment, face aux situations, les rapports de force peuvent s'inverser complètement. Mais à côté de ça, de la mise en lumière des tensions humaines, il y a un autre message, emblématisé par la maladie de la nature.


Symbolique écologique
On voit comment l'argent ne leur sert que de cache-misère, que de ralentir un peu la crise — que finalement, on redevient presque tous égaux face aux conséquences de notre hybris. En effet, ils se pensent à l'abri dans leur maison, qui peut évoquer celle du film Parasite dans son aspect hors du monde.
« La petite maison était si bien conçue (et ses murs si solides !), et si enjôleuse, qu'on en oubliait totalement les autres. »
D'ailleurs, riche ou pauvre, ils ont tous les mêmes réflexes vains, comme de répéter sans cesse qu'il faut remplir les baignoires (ce qui m'a fait penser aux pères désemparés des siècles passés qui vont faire bouillir des langes, manière plus de s'occuper que de se rendre réellement utile)
Le titre, déjà, qui peut faire penser au fameux monde d'après. le monde après nous, ça donne un indice sur le cataclysme qui les guette — car ce monde-là, c'est le monde qu'on laisse, et on comprend de quoi il s'agit — que ce soit une guerre nucléaire ou le réchauffement climatique —, c'est le monde que l'homme a créé.
Revient souvent dans le livre l'image de la métastase, que ce soit pour parler de la nature ou des personnages. La maladie qui s'accélère, mais qui était déjà en latence — c'est donc que des signes avant-coureurs étaient là — ceux que cherchent GH dans ses journaux, dans ses informations, une reconstruction qu'il tente de faire à posteriori. Mais ceux qui savaient vraiment, qui voyaient vraiment, on se demande si ce ne sont pas plutôt les enfants — qui paraissent plus ancrés dans le réel, dans les sensations.
Et on finit donc comme dans un conte, sur une figure innocente qui pourra presque nous évoquer Boucle d'or, une exploratrice de ce nouveau monde, aveugle au danger — dans les mauvais ou le bon sens. Et on se demande quelle est la morale, — car c'est bien l'impression d'avoir lu une fable qu'on a eue. Que symbolise cette maison cachée dans les bois, hors du temps, si ce n'est une humanité désuète et remplacée — Rose y aperçoit des jeux de sociétés, des rideaux en crochet, comme autant de passe-temps d'une époque qui n'existe plus que dans les livres pour enfants.
C'est donc un livre que je vous recommande, il y a beaucoup de choses à en dire (c'est ce qui me fait conclure que c'est un bon livre), malgré quelques redondances — comme les dialogues entre Amanda et Ruth qui auraient pu être plus incisifs encore.

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