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Critique de laumal


laumal
29 décembre 2022
J'ai rencontré Jean d'Albis dans le métro, sur la ligne 10. Vêtu d'un Barbour et d'une chemise bleue, il distribuait bravement des prospectus à des voyageurs qui s'efforçaient de le sortir de leur champ de vision. le prospectus parlait de son livre, la Passe de Darial. Je l'ai trouvé courageux, je me suis vue, rassemblant tout mon coeur pour aborder les 26 librairies parisiennes et leur pitcher mon roman, l'Indivisible, à sa sortie. Je l'ai stalké un peu sur les réseaux, j'ai vu qu'il travaillait dans la banque. J'ai eu un a-priori négatif (allons bon, encore quelqu'un qui a pondu un roman entre midi et deux… mais n'aurait-on pas pu dire çà de moi aussi ?). J'ai quand même acheté le roman chez Périples 2 pour récompenser son auteur de croire encore dans la rencontre, d'aller vers l'autre et se frotter à la vie. 115 pages : j'ai pensé : la banque, ça ne laisse pas beaucoup de temps pour écrire. J'ai ouvert la première page. Et là, la belle surprise, la belle écriture. J'avais dans mes mains un des meilleurs romans de l'année.
La Russie en 1864, l'immensité des plaines de blé brûlées de soleil, où des enfants blonds grandissaient dans des loques brodées. Des jeunes nobles qu'on élève dans la vénération d'un Tsar qu'ils n'approcheront jamais. le temps de briser les caractères par des manoeuvres absurdes (« la discipline sert à abolir l'individu au profit du groupe »), on les envoie au Nord de la Georgie, en terre Tcherkesse, se faire massacrer « sous le regard indifférent de nos officiers supérieurs, dans un pays qui n'est pas le nôtre ». C'est la russification du continent ; en fait de guerre, c'est l'attente que notre héros trouvera, l'attente sous toutes ses formes et l'immensité de la nature. Attendre en prison, attendre dans la vallée, attendre dans la montagne. Attendre dans la terreur, attendre sans dormir, dormir pour passer le temps. « Je pourrai décrire chaque brin d'herbe, chaque arbuste, chaque caillou tellement j'ai passé de temps à fixer la ligne d'horizon ». Pas un seul ennemi en 6 mois. La faction rend son esprit vaporeux, floute ses souvenirs, fait disparaître passé et présent. Il ne sait plus qui il est, ce qu'il veut. Il se confond avec l'herbe. Et nous qui ne pouvons plus passer une minute sans tripoter un portable, comment supporter avec lui cette lente dissolution dans cette plaine immobile, dans ce long poème en prose, à l'écriture succincte et lumineuse ? Eh bien, on adore ! Pas un mot inutile mais une brassée de sensations revigorantes. Pour ceux, qui comme moi sont kinesthésiques, un véritable cinéma 3D en caméra subjective : tout est couleurs mais surtout matières, densités, porosités, rugosités, évaporations, ombres, cristaux…Ce court roman ressuscite notre envie de vivre fort, de partir loin, de respirer du cèdre et du mélèze, de se passer de techno pour revenir au nécessaire et « aux grandes tables de fermes meurtries par les couteaux et mille fois savonnées ». A lire en avalant d'un trait une Aquavit glacée& bien épicée !
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